Les relations diplomatiques sont des plus tendues entre Ankara et plusieurs pays européens. Le président turc Recep Tayyip Erdogan dépêche son exécutif en Europe pour rencontrer la diaspora turque, en vue d'un référendum le mois prochain qui doit valider une importante réforme constitutionnelle. Et ça ne plait pas à tout le monde. Deux ministres turcs ont ainsi été refoulés des Pays-Bas, samedi, soulevant la colère de la Turquie. Dimanche, le chef de la diplomatie turque tenait un meeting à Metz, avec l'accord des autorités françaises, suscitant des réactions de l'opposition politique. Europe1.fr fait le point sur ces dernières 48 heures.
Acte 1 : le chef de la diplomatie turque n'est pas le bienvenu aux Pays-Bas
Le ministre des Affaires étrangères turc devait atterrir aux Pays-Bas samedi, pour y tenir un meeting en vue de rencontrer des Turcs du pays. La Haye a toutefois empêché l'avion de Mevlut Cavusoglu d'atterrir. Plus tard dans la soirée, c'est la ministre turque de la Famille qui a été escortée jusqu'à la frontière par la police néerlandaise, après avoir tenté de rejoindre le consulat turc à Rotterdam malgré la protestation des autorités nationales.
Recep Tayyip Erdogan a dénoncé vivement la décision des Pays-Bas, qualifiant une attitude qui rappelait "le nazisme et le fascisme" et dénonçant une "forme d'islamophobie". Il a par ailleurs assuré que les Pays-Bas en "paieront le prix". La Haye a décidé samedi d'interdire la venue de Mevlut Cavusoglu après qu'Ankara a "menacé publiquement de sanctions" le pays, alors que des discussions étaient en cours entre les deux exécutifs : "Cela rend impossible la recherche d'une solution raisonnable", avait expliqué le gouvernement néerlandais samedi.
Pourquoi Erdogan envoie ses troupes partout en Europe
Recep Tayyip Erdogan est entré en campagne depuis plusieurs jours pour promouvoir, auprès de la diaspora turque en Europe, le vote du "oui" lors du référendum du 16 avril, qui prévoit le renforcement des pouvoirs présidentiels. Les ministres turcs sont ainsi dépêchés dans plusieurs pays européens pour y tenir des meetings politiques. Si les Pays-Bas sont les premiers à avoir décidé d'interdire la venue de ministres turcs, l'Allemagne avait déjà annulé début mars plusieurs meetings pro-Erdogan. Ces décisions ont donné lieu à des passes d'armes entre Ankara et Berlin.
En réaction à l'attitude de La Haye, un millier de manifestants munis de drapeaux turcs se sont rassemblés près du consulat turc à Rotterdam samedi soir, et des incidents ont éclaté avec la police néerlandaise. Dimanche matin, à Istanbul cette fois, des manifestants ont brièvement remplacé le drapeau du consulat des Pays-Bas par le drapeau turc, tandis que d'autres ont jeté des œufs sur l'ambassade néerlandaise à Ankara.
Manifestations à #rotterdam suite au blocage du convoi d'un ministre turc .(src diverses Twitter)#turkiyepic.twitter.com/tB4JQS4sqG
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#Turquie: le drapeau néerlandais arraché au consulat à #Istanbul (vidéo)
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Acte 2 : La France prise en tenaille avec le meeting du chef de la diplomatie turque
À la différence de La Haye, Paris ne s'est pas opposée au meeting du ministre des Affaires étrangères turc, dimanche à Metz. "Cette réunion s‘inscrit dans le cadre de la liberté de réunion, et cette liberté de réunion ne peut être contrainte que quand il y a des menaces à l’ordre public", a précisé au micro d’Europe 1 Alain Carton, secrétaire général de la préfecture de Moselle. "Il n’y a pas de risques avéré. C’est la raison pour laquelle elle peut se dérouler", conclut-il.
Mevlut Cavusoglu était invité par la branche lorraine de l'Union des démocrates turcs européens (UETD), qui organise des meetings électoraux pour le parti AKP du président Erdogan. Ce dernier a d'ailleurs remercié la France d'avoir autorisé la visite de son ministre. Près d'un millier de personnes étaient présentes à Metz dimanche, venues plaider pour l'adoption de la réforme constitutionnelle.
Les premiers mots du ministre des affaires étrangères turc a Metz : Les Pays-Bas ce sont des fascistes pic.twitter.com/hKodj4OM7A
— Gaele Joly (@joelgaly) 12 mars 2017
Malgré cette autorisation, Jean-Marc Ayrault a appelé à "l'apaisement" de cette crise diplomatique entre la Turquie et les Pays-Bas : "Il est indispensable de faire preuve de responsabilité et d'éviter les polémiques inutiles", a-t-il ajouté, en invitant "les autorités turques à éviter les excès et les provocations".
Mais la tenue de ce meeting pro-Erdogan à Metz a soulevé l'opposition des partis politiques français. François Fillon (LR) a accusé dimanche François Hollande de rompre "de manière flagrante la solidarité européenne". Marine Le Pen a marqué son refus, sur Twitter, quant à la tenue d'une "campagne électorale turque en France". Europe Écologie-Les Verts a également dénoncé par communiqué "l'accueil de ce meeting qui rend la France témoin et caution du grave glissement autoritaire que connaît la Turquie actuellement".
Acte 3 : La Suisse, l'Autriche et le Danemark entrent dans la danse
Le chef de la diplomatie turque était attendu également dimanche à Zurich, en Suisse, mais la rencontre a été annulée par l'hôtel où devait se tenir le rassemblement, selon la Radio-Télévision Suisse. Quatre meetings de soutien au président turc ont également été annulés ce week-end en Autriche, selon la presse locale. Le Premier ministre danois a par ailleurs "proposé" dimanche à son homologue turc de reporter sa visite au Danemark, prévue à la fin du mois, en raison de "l'escalade" entre Ankara et La Haye : une visite du Premier ministre turc pourrait être perçue comme la manifestation "d'une vision plus complaisante" du Danemark quant à l'évolution politique en Turquie, "ce qui est loin d'être le cas", a-t-il assuré.
Dimanche, les Pays-Bas ont exprimé leur volonté de favoriser une "désescalade" de la crise avec la Turquie. Toutefois, la tension ne semble pas prête de retomber dans l'immédiat, puisque le Premier ministre néerlandais a exclu de présenter ses excuses au nom de son gouvernement à Ankara. Et de nouveaux appels au rassemblement circulaient dans la soirée sur les réseaux sociaux.