Face à Ebola, l'OMS a-t-elle trop tardé à tirer la sonnette d'alarme ? C'est la question à laquelle un collège d'experts mandatés par l'ONU tente de répondre depuis deux mois maintenant. Et ils semblent pencher pour le "oui", à en juger par les premiers extraits de leur rapport, publié lundi, qui ont filtré dans la presse.
Le constat des experts. Le verdict est sans appel : pour ces experts, l'OMS "n'a pas une capacité et une culture suffisamment fortes pour mener des opérations d'urgence". Dans les faits, l'OMS a déclaré l'épidémie d'Ebola comme "urgence de santé publique" le 8 août 2014. Trop tardif, juge le rapport, dans lequel les auteurs affirment ne pas comprendre "pourquoi des avertissements précoces lancés de mai à juin 2014 n'ont pas abouti à une réponse adéquate et sérieuse". "Il est surprenant qu'il ait fallu attendre jusqu'en août ou septembre pour reconnaître que la transmission de l'Ebola ne pourrait être sous contrôle que si des mesures de surveillance, de mobilisation des populations et la distribution des soins étaient mises en place de manière simultanée", poursuivent, lapidaires, les auteurs du rapport.
Un diagnostic partagé par les ONG. Des accusations qui font écho aux violentes sorties de Médecins Sans Frontières, rappelle la RTBF. Le directeur du programme Ebola de l'ONG Brice de le Vingne faisait part de son sentiment de frustration en mars 2015 : "Pendant des mois et des mois, on a eu l'impression de ne pas être pris au sérieux. On nous a accusé d'alimenter l'anxiété des populations, alors qu'on essayait de faire prendre conscience aux décideurs que cette situation était vraiment grave."
Pourquoi une telle inertie des institutions ? Depuis son siège à Genève, l'OMS avait elle-même reconnu avoir pris du retard, puisqu'elle avait attendu le 25 janvier 2015 pour voter une résolution d'ampleur lors d'une session spéciale convoquée par la directrice générale Margaret Chan. Or, une mission des Nations Unies pour la lutte contre Ebla (UNMEER) avait été mise en place dès septembre 2014. Dans ce rapport, les experts dénoncent également des problèmes "de terrain" (mauvaise compréhension du contexte de cette épidémie, négociations avec les pays concernés, mauvaise communication de l'OMS) mais aussi des logiques bureaucratiques qui ralentissent la prise de décision.
Une organisation déplumée et décriée. Fin janvier, Le Monde pointait du doigt ces mêmes dérives : nominations politiques dans les bureaux nationaux de l'OMS, manque d'harmonisation, manque de réactivité. C'est pourquoi l'OMS avait elle-même adopté une résolution pour réformer son fonctionnement le 3 février dernier. L'institut de recherche O'Neill préconise de son côté un doublement du budget de l'OMS d'ici 5 ans et la création d'un fonds d'urgence, rapporte RFI. Et pour cause, depuis 2011, le budget de l'organisation internationale a baissé de 440 millions d'euros, l'amputant d'une partie de ses effectifs, en l'occurrence ses unités d'intervention d'urgence. L'épidémie d'Ebola, qui avait frappé principalement trois pays, le Liberia, la Guinée et le Sierra Leone, a fait plus de 11.000 morts.
Les conclusions de ce rapport préliminaire seront débattues lors de l'Assemblée mondiale de la santé, du 18 au 26 mai prochain, à Genève. Tout l'enjeu pour l'OMS sera de savoir si ses membres, les Etats qui la financent, seront prêts à lui laisser plus d'indépendance pour plus de réactivité.