Osman Kavala restera en prison. La justice turque a décidé de passer outre les recommandations du Conseil de l'Europe qui exigeait sa libération immédiate, sous peine de sanctions. "Hier matin, neuf ambassadeurs occidentaux et deux diplomates de la délégation européenne s'entassaient dans la salle d'audience du tribunal d'Istanbul. Et c'est donc ensemble qu'ils ont essuyé le refus, le mépris, la fessée publique que leur ont infligée les magistrats en décidant pour la troisième fois en trois mois de maintenir Osman Kavala derrière les barreaux.
L'intéressé s'y attendait tellement qu'il avait refusé de sortir de sa cellule. Cela fait quatre ans qu'il y croupit sans jugement. Durant ses quatre ans, il a eu le temps d'y réfléchir. Il a dit qu'il n'avait plus foi dans la justice turque, ce qui s'apparente à l'aveu d'un innocent. Les criminels endurcis ou les professionnels de la politique savent combien les magistrats sont susceptibles. Pour les amadouer, il répète qu'ils ont confiance dans la justice de leur pays.
Osman Kavala, le partisan d'une Turquie dans l'UE
Il est l'ennemi que s'est choisi le président Erdogan, sa bête noire, son bouc émissaire. Il incarne tout ce que le sultan déteste. Un héritier, né à Paris et élevé au Royaume-Uni, qui représente le symbole du cosmopolitisme. C'est un partisan de la Turquie arrimé à l'Europe, un laïc dont les relations avec la mouvance islamiste sont décomplexées. Il a été l'un des premiers à dénoncer la secte de Fethullah Gülen, à l'époque où Erdogan s'entendait comme larrons en foire avec le prédicateur pour noyauter l'État.
Osman Kavala a mis sa fortune au service de toutes sortes de projets culturels qui militent pour le droit des minorités, la question kurde, la réconciliation avec les Arméniens. Erdogan déteste ce Robin des Bois et le compare, suprême insulte, à Georges Soros. Il l'a fait embastiller sous prétexte qu'il avait poussé aux manifestations de Gezi en 2013. Et quand cette accusation a été balayée, une autre a pris aussitôt le relais : la participation au coup d'État de 2016 où il est accusé d'avoir voulu déstabiliser l'État. Il risque la prison à vie. L'État, c'est sacré en Turquie. La Turquie, c'est l'État.
Une économie turque sous oxygène
Le Conseil de l'Europe, qui rassemble 47 pays du continent, bien au-delà donc des 27 de l'Union européenne, a mis la Turquie en demeure de livrer ses observations dans ce dossier, autrement dit de s'expliquer. L'ultimatum expire demain. On serait curieux de voir ce qu'il y a à dire dans le dossier Kavala. Sans réponse, le Conseil sera au pied du mur et devra passer à l'acte. Il n'aura plus qu'à imposer des sanctions.
La Turquie est membre du Conseil de l'Europe depuis 70 ans. Elle ne peut pas dénoncer l'ingérence. Elle a souverainement accepté de se soumettre aux arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme. Alors, évidemment, ça va donner l'occasion à Erdogan de se victimiser, de dénoncer le complot venu de l'étranger. Il est d'ailleurs payant, mais pas forcément cette fois-ci, vu la déroute économique que subissent les Turcs et l'inflation galopante conduite par un président omniscient. Un président qui réinvente les lois du marché, brûle les réserves en devises en laissant les experts absolument sidérés.
Ça fait quinze ans que Recep Tayyip Erdogan joue la crise avec l'Europe. L'Union européenne s'est toujours couchée pour l'éviter. Il n'est pas dit que le Conseil de l'Europe en fasse autant. Le point de rupture, en tout cas, est tout proche."