Les talibans étaient dimanche sur le point de reprendre le pouvoir en Afghanistan, après être arrivés aux portes de Kaboul, où leurs combattants ont reçu l'ordre de ne pas entrer, pendant que le gouvernement préparait une transition pacifique. Le mouvement islamiste radical s'apprête à revenir au pouvoir, 20 ans après en avoir été chassé par une coalition menée par les États-Unis en raison de son refus de livrer le chef d'Al-Qaïda, Oussama Ben Laden, dans la foulée des attentats du 11 septembre 2001.
"L’Émirat islamique ordonne à toutes ses forces d'attendre aux portes de Kaboul, de ne pas essayer d'entrer dans la ville", a annoncé sur twitter Zabihullah Mujahid, un porte-parole des talibans. Ils ont aussi promis qu'ils ne chercheraient à se venger de personne, y compris des militaires ou fonctionnaires ayant servi pour l'actuel gouvernement.
Le président afghan, Ashraf Ghani, aurait pour sa part déjà quitté l'Afghanistan, selon l'ancien vice-président Abdullah Abdullah. "L'ancien président afghane a quitté la nation", a déclaré ce dernier, qui est aussi le chef du Haut Conseil pour la réconciliation nationale, dans une vidéo publiée sur sa page Facebook.
Transfert pacifique du pouvoir "dans les prochains jours"
Appelant les Afghans à "ne pas s'inquiéter", le ministre de l'Intérieur, Abdul Sattar Mirzakwal a assuré qu'un "transfert pacifique du pouvoir" vers un gouvernement de transition allait avoir lieu.
Un porte-parole des insurgés, Suhail Shaheen, a confirmé à la BBC qu'ils escomptaient un transfert pacifique du pouvoir "dans les prochains jours". "Nous voulons un gouvernement inclusif (...) ce qui veut dire que tous les Afghans en feront partie", a-t-il assuré.
En à peine dix jours, les talibans, qui avaient lancé leur offensive en mai à la faveur du début du retrait final des troupes américaines et étrangères, ont pris le contrôle de quasiment tout le pays.
La déroute est totale pour les forces de sécurité afghanes, pourtant financées pendant 20 ans à coups de centaines de milliards de dollars par les États-Unis, et pour le gouvernement du président Ghani, dont la démission paraît inéluctable.
Le chef de l’État a demandé aux forces de sécurité de garantir la "sécurité de tous les citoyens". "C'est notre responsabilité et nous le ferons de la meilleure manière possible. Quiconque pense à créer le chaos ou à piller sera traité avec force", a-t-il déclaré dans un message vidéo.
Les talibans avaient peu auparavant pris le contrôle de deux prisons proches de la capitale, libérant des milliers de prisonniers, et les autorités craignaient que des criminels n'en viennent à troubler l'ordre public.
Les 'valeurs islamiques'
Au fil de la journée, la panique s'est emparée de la capitale. Les magasins ont fermé, des embouteillages monstres sont apparus, des policiers ont été vus troquant leur uniforme pour des vêtements civils.
Une énorme cohue était visible auprès de la plupart des banques, les gens cherchant à retirer leur argent tant qu'il était encore temps. Les rues étaient aussi remplies de véhicules chargés à ras bord tentant de quitter la ville, ou de se réfugier dans un quartier que les gens estiment plus sûr.
Beaucoup d'Afghans, surtout dans la capitale, et les femmes en particulier, habitués à la liberté qu'ils ont connue ces 20 dernières années, craignent un retour au pouvoir des talibans.
Lorsqu'ils dirigeaient le pays, entre 1996 et 2001, ces derniers avaient imposé leur version ultra-rigoriste de la loi islamique. Les femmes avaient interdiction de sortir sans un chaperon masculin et de travailler, et les filles d'aller à l'école. Les femmes accusées de crimes comme l'adultère étaient fouettées et lapidées. Les voleurs avaient les mains coupées, les meurtriers étaient exécutés en public et les homosexuels tués.
Les talibans, qui veillent à afficher aujourd'hui une image plus modérée, ont maintes fois promis que s'ils revenaient au pouvoir, ils respecteraient les droits humains, en particulier ceux des femmes, en accord avec les "valeurs islamiques".
Mais dans les zones nouvellement conquises, ils ont déjà été accusés de nombreuses atrocités: meurtres de civils, décapitations, enlèvements d'adolescentes pour les marier de force, notamment.
La France met "tout en œuvre pour assurer la sécurité des Français"
Un Conseil de défense relatif à la situation en Afghanistan se tiendra lundi à 12h00 en visioconférence, a indiqué dimanche l'Elysée. La France met actuellement "tout en œuvre pour assurer la sécurité des Français" encore en Afghanistan, sa "priorité absolue", et Emmanuel Macron "suit heure par heure la dégradation très préoccupante de la situation", a poursuivi la présidence française.
"La priorité immédiate et absolue dans les prochaines heures est la sécurité des Français, qui ont été appelés à quitter l'Afghanistan, ainsi que des personnels sur place, français et afghans", a indiqué l'Elysée à l'AFP. "Ces opérations, qui concernent plusieurs centaines de personnes, ont été menées à bien au cours des dernières semaines et se poursuivent", a précisé l'Elysée.
"La France est l'un des rares pays à avoir maintenu sur le terrain les capacités de protéger les Afghans qui ont travaillé pour l'armée française, ainsi que des journalistes, des militants des droits de l'Homme, des artistes et personnalités afghanes particulièrement menacées", ajoute la présidence.
"Les Français présents en Afghanistan ont été invités dès le mois d'avril 2021 à quitter le pays et ont eu la possibilité d'emprunter un vol organisé le 16 juillet dernier par les autorités françaises pour faciliter ce départ", avait précisé le Quai d'Orsay vendredi.
Vendredi, Paris avait par ailleurs promis "un effort exceptionnel" pour accueillir en France des personnalités afghanes menacées pour leur engagement en faveur des droits humains ou de la liberté d'expression - artistes, journalistes et défenseurs des droits. Paris précise avoir organisé depuis le mois de mai l'accueil de 625 Afghans employés dans les structures françaises présentes en Afghanistan et de leur famille.
La France, qui a eu recours ces dernières années à des civils recrutés localement pour aider son personnel sur place, en particulier des interprètes, a déjà organisé l'accueil de 550 personnes avec leur famille entre 2013 et 2015 et de 800 en 2018 et 2019, précise l'Elysée. Et comme d'autres pays européens, la France a suspendu depuis juillet les expulsions de migrants afghans déboutés de leur demande d'asile.
Nombreuses réactions internationales
Face à l'effondrement de l'armée afghane, le président américain, Joe Biden, a porté à 5.000 soldats le déploiement militaire à l'aéroport de Kaboul pour évacuer les diplomates américains et des civils afghans ayant coopéré avec les États-Unis qui craignent pour leur vie.
Le Pentagone évalue à quelque 30.000 le nombre de personnes à évacuer au total. Comme la veille, les hélicoptères américains ont continué dimanche leurs rotations incessantes entre l'ambassade américaine, un gigantesque complexe situé dans la "zone verte" ultra-fortifiée, au centre de la capitale, et l'aéroport, désormais la seule voie de sortie du pays.
L'ambassade américaine a ordonné à son personnel de détruire les documents sensibles et symboles américains qui pourraient être utilisés par les talibans "à des fins de propagande".
Londres a parallèlement annoncé le redéploiement de 600 militaires pour aider les ressortissants britanniques à partir. Plusieurs pays occidentaux vont réduire au strict minimum leur présence, voire fermer provisoirement leur ambassade. Mais la Russie a indiqué dimanche ne pas prévoir d'évacuer son ambassade et œuvrer à la tenue d'une réunion urgente du Conseil de sécurité de l'ONU.
Le président américain a menacé les talibans d'une réponse "rapide et forte" en cas d'attaque qui mettrait en danger des ressortissants américains lors de l'opération d'évacuation. Mais il a aussi défendu sa décision de mettre fin à 20 ans de guerre, la plus longue qu'ait connue l'Amérique, malgré les critiques de l'opposition républicaine
"Une année ou cinq années de plus de présence militaire américaine n'auraient fait aucune différence, quand l'armée afghane ne peut ou ne veut pas défendre son propre pays", a-t-il déclaré.