Le président haïtien Jovenel Moïse a été assassiné par un commando armé mercredi en pleine nuit à son domicile, le Premier ministre par intérim décrétant dans la foulée l'état de siège dans le pays des Caraïbes encore davantage plongé dans la crise. "Nous avons décidé de déclarer l'état de siège dans tout le pays", a déclaré Claude Joseph dans un discours en créole, octroyant ainsi des pouvoirs renforcés à l'exécutif pour quinze jours. Il a promis que "les auteurs, les assassins de Jovenel Moïse paieraient pour ce qu'ils ont fait devant la justice".
Claude Joseph avait annoncé plus tôt mercredi l'attaque ayant causé la mort du président. "Le président a été assassiné chez lui par des étrangers qui parlaient l'anglais et l'espagnol. Ils ont attaqué la résidence du président de la République", a-t-il affirmé. Selon l'ambassadeur haïtien aux Etats-Unis, Bocchit Edmond, le commando était composé de mercenaires "professionnels" s'étant fait passer pour des responsables de l'agence américaine anti-drogues et qui pourraient avoir déjà quitté le pays. L'épouse de Jovenel Moïse, blessée dans l'attentat qui a eu lieu vers 01H00 locale, va être évacuée à Miami pour être soignée, a-t-il précisé.
Joe Biden condamne un "acte odieux"
Cet événement menace de déstabiliser le pays le plus pauvre des Amériques, déjà confronté à une double crise politique et sécuritaire. Le Premier ministre a appelé la population au calme et fait savoir que la police et l'armée allaient assurer le maintien de l'ordre. "La situation sécuritaire est sous contrôle", a-t-il assuré.
Le président américain Joe Biden a condamné cet "acte odieux", disant les Etats-Unis prêts à apporter leur aide au pays en crise. L'Union européenne s'est inquiétée d'une "spirale de violence" par la voix de son chef de la diplomatie Josep Borrell et Paris a dénoncé un "lâche assassinat". Le Conseil de sécurité de l'ONU, qui se réunira en urgence jeudi, s'est dit "profondément choqué" par cet assassinat.
En réaction, la République dominicaine a ordonné mercredi la "fermeture immédiate" de sa frontière avec Haïti, les deux pays partageant la même île.
Accusé d'inaction face aux gangs
Venu du monde des affaires, Jovenel Moïse, 53 ans, avait été élu président en 2016 sur une promesse de développement de l'économie du pays et avait pris ses fonctions le 7 février 2017. Actif dans plusieurs domaines économiques, dont l'exploitation de bananeraies, il n'avait alors quasiment aucune expérience en politique au moment de son élection et était très peu connu de ses compatriotes.
Haïti est gangrené par l'insécurité et notamment les enlèvements contre rançon menés par des gangs jouissant d'une quasi impunité. Une situation qui valait à Jovenel Moïse, accusé d'inaction face à la crise, d'être confronté à une vive défiance d'une bonne partie de la société civile.
Dans ce contexte faisant redouter un basculement vers l'anarchie généralisée, le Conseil de sécurité de l'ONU, les Etats-Unis et l'Europe appelaient à la tenue d'élections législatives et présidentielle libres et transparentes, d'ici la fin 2021.
Jovenel Moïse avait annoncé lundi la nomination d'un nouveau Premier ministre, Ariel Henry, avec justement pour mission la tenue d'élections. Gouvernant par décret depuis janvier 2020, sans Parlement et alors que la durée de son mandat faisait l'objet de contestations, Jovenel Moïse avait également mis en chantier une réforme institutionnelle.
Un référendum constitutionnel initialement prévu en avril, reporté une première fois au 27 juin puis à nouveau en raison de l'épidémie de Covid-19, devait se tenir le 26 septembre. La réforme avait pour but de renforcer les prérogatives de l'exécutif.
Des milliers d'habitants contraints de fuir
Mais c'est dans les rues de Port-au-Prince que la détérioration de la situation du pays est la plus évidente. Depuis début juin, des affrontements entre bandes rivales dans l'ouest de Port-au-Prince paralysent toute circulation entre la moitié sud du pays et la capitale haïtienne. Des milliers d'habitants du quartier très pauvre de Martissant, disputé par les gangs, ont été contraints de fuir leur logement et ont dû être accueillis par des proches ou dans des gymnases.
Le 30 juin, 15 personnes avaient été tuées dans une fusillade en plein Port-au-Prince, dont un journaliste, Diego Charles, et une militante politique d'opposition, Antoinette Duclair. Et, en avril, l'enlèvement et la séquestration de plusieurs religieux catholiques, dont deux Français, avaient choqué jusqu'au-delà des frontières du pays.