"Jacques Chirac a défendu la Roumanie comme son propre pays", affirme l'ancien président Emil Constantinescu

Peres Constantinescu
La francophonie "est très importante pour moi", confie Emil Constantinescu. © Service de Presse/Droits réservés
  • Copié
Jean-François Pérès, à Bucarest
Europe 1 a rencontré l'ancien président Roumain (1996-2000), qui confie son admiration et son affection pour l'ancien président français, décédé au mois de septembre. "La mort de Jacques Chirac a été l'un des moments les plus douloureux de ma vie", affirme-t-il. 
INTERVIEW

Dans un entretien exclusif à Europe 1, l’ancien président roumain (1996-2000) Emil Constantinescu confie son admiration et son affection pour l'ancien président français Jacques Chirac, décédé en septembre. L'occasion d'évoquer le rôle fondamental de ce dernier dans l’arrimage de la Roumanie à l’Union Européenne et à l’OTAN, après des décennies de communisme. 

Président Emil Constantinescu, vous avez représenté la Roumanie aux obsèques de Jacques Chirac, en septembre dernier. Qui était-il pour vous ?

La mort de Jacques Chirac a été l’un des moments les plus douloureux de ma vie. C’est mon devoir de témoigner du rôle extraordinaire qu’il a joué dans l’histoire récente de la Roumanie. De Napoléon III à Clémenceau ou De Gaulle, la Roumanie doit beaucoup à la France. Mais de tous les personnages historiques, je n’en connais pas d’autre qui ait défendu la Roumanie comme si c’était son propre pays.

Le premier dossier dans lequel il s’est impliqué, c’est l’entrée dans l’OTAN du pays que vous dirigiez alors…

La Roumanie est entrée dans l’OTAN grâce à Jacques Chirac. Au sommet de Madrid, en 1997, il s’est opposé jusqu’au bout au véto des Etats-Unis et de leurs alliés. C’est Chirac et Helmut Kohl qui ont obtenu pour la Roumanie la possibilité d’une entrée dans l’Organisation. De même, lors du 50ème anniversaire de l’OTAN à Washington, c’est lui qui a pris fait et cause pour la Roumanie alors que la guerre en Yougoslavie faisait rage. J’ai encore la note qu’il avait écrite de sa propre main au dos de mon discours. Sans ces actions de Chirac, notre chemin vers l’OTAN se serait peut-être arrêté là.

chiracok

© Service de Presse/Droits réservés

Ensuite, il y a l’Union Européenne…

En 1997, au Conseil européen de Luxembourg, chez un jeune Premier ministre nommé Jean-Claude Juncker, Jacques Chirac m’a appelé à une heure du matin pour me dire : "On a gagné !". Cela n’avait pas été facile. Ce sommet était primordial. Il modifiait le système d’adhésion à l’Union européenne en donnant une chance à tous. La Roumanie avait alors un statut d’Etat économiquement sinistré. Sans alliance, on n’aurait rien pu faire. Chirac a compris, il a été visionnaire. Il a toujours soutenu la Roumanie, jusqu’au bout, sur tous les plans.

En 1998, à Vienne, Chirac a été encore plus direct concernant l’élargissement de l’UE : "Soit avec la Roumanie, soit rien du tout !". Il m’a soufflé avant le dîner de fin de sommet : "Tu es prêt à parler ?". Je lui ai répondu que je n’avais rien préparé. "Il va falloir que tu parles, c’est le moment." Pendant le repas, il m’a cédé la parole dans une atmosphère très amicale. Et finalement, Chirac a obtenu l’accord de Tony Blair pour l’entrée de la Roumanie. Il a donc été l’avocat de mon pays dans les deux moments historiques les plus importants pour, je l’espère, le siècle à venir.

Jacques Chirac fut également le premier Chef d’Etat à vous rendre visite à Bucarest après votre élection…

Oui, il était venu avec de nombreux capitaines d’industrie dont Jean-Luc Lagardère, un homme exceptionnel que j’ai eu la chance de connaître personnellement et qui avait investi en Roumanie. Pendant les quatre années de mon mandat, lors de mes visites à Paris ou des sommets internationaux, nous avons toujours eu un entretien en tête-à-tête, Chirac et moi.

Dernier aspect de vos relations, la Francophonie. Y êtes-vous attaché ?  

Elle est très importante pour moi. J’ai été élevé dans une atmosphère presque française - ma mère était française et j’ai des grands-parents bretons. À travers la francophonie, Chirac défendait une diplomatie culturelle - cela se perd. Il était généreux, même avec ceux qui ne le méritaient pas. Derrière les dictateurs odieux, il voyait les peuples. Ce fut un bonheur d’être à ses côtés. Il défendait les valeurs humanistes qui étaient aussi les miennes. Pendant mon mandat, Bucarest a obtenu le Sommet de la Francophonie. Lors de chaque réunion du Haut Conseil à la Francophonie, une expérience exceptionnelle hélas stoppée par son successeur, Chirac nous invitait à l’Elysée pour un moment convivial. Je n’oublierai jamais qu’il me raccompagnait à chaque fois jusqu’à ma voiture. Je crains de ne pas recroiser souvent un personnage d’une telle dimension...