"Je n'avais rien fait pour mériter ça." Quinze ans après les faits, depuis sa ville de Karachi, au Pakistan, Ahmer Abbasi est déterminé à obtenir réparation. Alors qu'il résidait aux Etats-Unis,, l'homme de 42 ans fait partie des 750 immigrés illégaux qui ont été interpellés dans les semaines suivant les attentats du 11-Septembre. Parfois simplement dénoncés par un voisin, ces personnes, majoritairement des hommes musulmans, ont passé jusqu'à onze mois en détention sur la base de "soupçons". La Cour suprême des Etats-Unis a examiné la question de savoir si d'anciens hauts responsables gouvernementaux pouvaient être poursuivis pour ces abus, mercredi.
Musulmans ou d'origine arabe. Lorsqu'il a été arrêté, à la fin du mois de septembre 2001, Ahmer Abbasi pensait être renvoyé dans son pays en raison de sa situation illégale, rapporte ABC. Mais son séjour en prison n'a cessé de se prolonger. Pendant quatre de ses onze mois de détention, l'homme a même été placé à l'isolement, sans qu'aucune charge concrète ne soit retenue contre lui. Régulièrement déshabillé pour des fouilles, il ne pouvait quitter sa cellule plus de quelques heures par jour. En août 2002, sans plus d'explication, il a finalement été expulsé vers le Pakistan.
Comme lui, tous les plaignants expliquent avoir été interpellés sur la base de signalements de particuliers et pris pour cibles sans autre raison que leur origine arabe ou leur religion. Beaucoup d'entre eux ont été placés dans les conditions de détention les plus dures, parfois cantonnés plus de 23 heures par jour dans une cellule minuscule. Certains affirment avoir été victimes d'insultes et d'abus physiques de la part des gardiens ou privés de sommeil. Arrêtés au prétexte d'un problème de permis de résidence ou attendant d'être blanchis de soupçons non précisés, ils ont été ainsi détenus pendant trois à onze mois.
"La Cour a un rôle historique à jouer". "Quelqu'un doit rendre des comptes, quelqu'un doit être responsable", martèle Ahmer Abbasi, dont le frère et le neveu vivent toujours aux Etats-Unis. Dans le viseur des plaignants figurent, entre autres, l'ex-ministre de la Justice John Ashcroft et l'ancien directeur du FBI Robert Mueller. Aux côtés d'autres responsables de l'administration de George W. Bush, tous deux affirment bénéficier d'une immunité concernant les ordres donnés lorsqu'ils étaient en fonction. C'est sur ce point que la Cour Suprême doit trancher. "La Cour a un rôle historique à jouer pour assurer que la race ou la religion ne devienne pas une base légitime de soupçons, et pour dissuader de futurs responsables fédéraux d'adopter ce genre de politiques", a estimé mercredi l'avocate des anciens détenus innocents, Rachel Meeropol.
Au sein-même de l'appareil judiciaire américain, certaines voix progressistes s'interrogent sur ces abus. "Je peux comprendre qu'après des attentats qui ont fait 3.000 morts, la première réaction des autorités soit d'arrêter n'importe qui possiblement impliqué", a noté le juge Stephen Breyer avant l'audience. "Mais, huit mois ?", a-t-il poursuivi se disant "très préoccupé" par ces délais de détention. De son côté, l'administration Obama se retrouve en position de défendre celle de George W. Bush. Mercredi, Ian Gershengorn, qui représente en justice le gouvernement des Etats-Unis, a expliqué que le ministre de la Justice de l'époque avait dû décider qui arrêter face à une "situation très difficile". "Il disposait d'une liste qui n'avait pas fait l'objet de vérifications complètes. Des personnes sur la liste étaient liées au terrorisme - ou auraient pu avoir des liens avec le terrorisme. Et certaines n'en avaient peut-être pas", a-t-il justifié.