La traque "difficile et complexe" des 2.000 personnes qui touchent encore une pension du régime nazi
Au micro d'Europe 1, la secrétaire d'Etat aux Anciens combattants explique vouloir connaître le profil des 54 Français, anciens collaborateurs du régime nazi, qui touchent encore une pension versée par l’Allemagne, avant de décider d’une "réaction appropriée".
C'est une histoire à peine croyable : dans plusieurs pays du monde, quelque 2.000 personnes, anciens collaborateurs du régime nazi, continuent de toucher une pension versée par l'Etat allemand . Cette rétribution concernerait des collaborateurs volontaires, ou bien enrôlés de force dans les troupes allemandes durant la Seconde guerre mondiale, et ayant été blessés. Versée depuis 1951, donc depuis l'après-guerre, cette pension peut atteindre 1.300 euros par mois, et la plupart des bénéficiaires vivent surtout en Europe : 573 personnes en Pologne, 101 en Autriche, 34 en Grande-Bretagne et 54 en France.
On en sait encore peu sur le profil des Français concerné par ces versements, l'opacité la plus totale ayant régné jusqu'ici autour de ces aides. "Je préférerais que nous puissions avoir l'identité de ces personnes, afin de ne pas lancer de polémiques inutiles ou, au contraire, de dire notre désaccord s'il y a lieu de le dire", a fait avoir au micro d'Europe 1 Geneviève Darrieussecq, la secrétaire d'Etat aux Anciens combattants. "Je ne veux ni accuser, ni excuser", ajoute-t-elle.
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La responsabilité de l'Allemagne. "Je suis choqué. Cela a échappé à l'attention de tous que l'Allemagne démocratique manifeste sa reconnaissance pour ceux qui ont combattu dans l'armée nazie !", s'indigne de son côté l'avocat Serge Klarsfeld, qui traque depuis des décennies les responsables de la Shoah. "Peut-être que des collaborateurs dont le nom est honni touchent des pensions. Mais à mon avis, ce n'est pas eux qui sont en cause, c'est plutôt l'Allemagne qui verse des pensions à des gens qui ont, par idéologie, ou par appât du gain, coopéré au service du mal. Ce qui est scandaleux", poursuit-il.
Protection des données personnelles. Outre-Rhin, la gêne est palpable : il n'est pas question de livrer des noms. Berlin se retranche derrière le principe de la protection des données personnelles. Le ministère compétent, le ministère fédéral du Travail, contacté par Europe 1, renvoie sur les régions, les Länder, puisque ce sont eux qui s’occupent du versement de ces pensions et donc qui ont les contacts des bénéficiaires. Or, pour les 54 Français concernés, c’est la Sarre qui paie.
Un "dispositif fourre-tout". "L'Office national des anciens combattants, qui verse les pensions aux soldats et anciens combattants français ignorait totalement ce versement allemand", précise Geneviève Darrieussecq. "Les lois sont souvent complexes et multiples. J'ai lu cette loi hier, elle ne s'adresse pas qu'aux soldats mais aussi aux civils. C'est une loi d'allocation pour des blessures et quelques fois des blessures qui n'interviennent pas dans des périodes de guerre. C'est un dispositif fourre-tout", relève cette responsable gouvernementale.
Plusieurs élus, notamment Jean-Luc Mélenchon, le leader de La France insoumise, demandent à l'Etat français de faire cesser ces versements , et que les sommes reçues aillent à la Fondation Charles-de-Gaulle . "En fonction des éléments que nous aurons, nous pourrons avoir une réaction appropriée", répond Geneviève Darrieusecq. "Ayons un peu de bon sens et de calme dans ce sujet si difficile et si complexe."
La colère de Bruxelles. Depuis des mois, la Belgique essaie également d’en savoir plus. Sans aucun résultat. La semaine dernière, le parlement belge a officiellement demandé à l’Allemagne de stopper ses paiements. Selon les députés, l’ambassadeur allemand à Bruxelles serait lui-même directement en possession de la fameuse liste, mais il bloque toute communication, y compris avec le gouvernement belge. Cette affaire est d’autant plus troublante qu’on se souvient, à la fin des années 1990, du combat des travailleurs forcés du nazisme pour se faire indemniser : les jeunes Français partis faire le "Service du travail obligatoire" n’ont eu droit qu’à un versement unique. L’Etat allemand leur a toujours refusé le principe d’une pension.