Tout le gratin des mouvements conservateurs américains ont rendez-vous cette semaine près de Washington. La Conservative Political Action Conference (CPAC), grand rendez-vous politique de la droite américaine, se tient en effet de mercredi à samedi dans un centre de congrès du Maryland. Parmi les orateurs invités à s'exprimer à la tribune, quelques figures de proue, comme le sénateur Ted Cruz, le vice-président Mike Pence et le président Donald Trump. Mais aussi des responsables politiques étrangers, notamment l'eurodéputé pro-Brexit britannique Nigel Farage. Et, enfin, Marion Maréchal-Le Pen.
"Ce sont les Américains qui sont venus la chercher". La nièce de Marine Le Pen s'apprête donc à interrompre provisoirement son retrait de la vie politique pour aller frayer avec la droite américaine. Son discours, prévu jeudi, devrait d'ailleurs appeler à "nouer un 'conservatisme des deux rives'", selon le mensuel L'Incorrect, lancé par des proches de l'ancienne députée frontiste. "Ce sont les Américains qui sont venus la chercher", assure à L'Obs Arnaud Stephan, directeur de la communication du magazine.
De fait, plusieurs responsables politiques outre-Atlantique ont déjà salué les idées de celle qui est devenue, à 22 ans en 2012, la plus jeune députée française. Sarah Palin, ancienne colistière de John McCain pour la présidentielle américaine de 2008, avait expliqué dès 2015 avoir éprouvé un "coup de cœur politique" pour Marion Maréchal-Le Pen, tandis que Steve Bannon, ancien conseiller de Donald Trump à la Maison Blanche, a vu en elle l'an dernier "l'étoile montante" de l'alt-right à la française. Pourtant, la présence de la nièce de Marine Le Pen à la CPAC est loin de faire l'unanimité chez les conservateurs américains.
"C'est dégoûtant". Jonah Goldberg, essayiste conservateur, a ainsi publiquement invectivé, sur Twitter, les organisateurs de la CPAC. Inviter "une oratrice du FN, même sans tenir compte du fait que c'est une Le Pen, ressemble à une mauvaise décision", a-t-il écrit à l'attention de Matt Schlapp, le président de l'Union conservatrice américaine qui est à l'origine de l'événement. Montel Williams, animateur et producteur de télévision qui se définit comme conservateur tout en tenant des propos très durs à l'égard de Donald Trump, a même été beaucoup plus sévère. "Je ne sais pas comment on invite une Le Pen au CPAC et on arrive à se regarder dans le miroir", a-t-il écrit sur le réseau social. "C'est simplement dégoûtant. Créez donc un parti alt-right/néo-nazi mais ne l'appelez pas conservateur !"
Matt, I don’t know how you invite a LePen to #CPAC and look at yourself in the mirror. That’s just disgusting. Go have an alt-right/neo Nazi party, just don’t call it conservative. @mschlapp
— Montel Williams (@Montel_Williams) 20 février 2018
"C'est Marion, pas sa tante". À l'inverse, les organisateurs de la conférence sont montés au créneau pour défendre Marion Maréchal-Le Pen, avec des arguments plus ou moins bien préparés. L'un d'entre eux a ainsi certifié qu'elle avait quitté le Front national, ce qui est faux. Mais Matt Schlapp, lui, a longuement appelé à faire la différence entre la jeune femme et Marine Le Pen. "C'est Marion, pas sa tante", a-t-il expliqué sur Twitter. À un internaute qui rappelait les propos négationnistes de Jean-Marie Le Pen sur l'Holocauste, le président de l'Union conservatrice américaine a répliqué qu'"en Amérique, nous croyons dans la dignité de l'individu, et qu'il faut regarder la personne, pas les antécédents familiaux".
Reagan battalion I've come to respect you but do your research. This is Marion not her aunt. Marion is a classical liberal, a conservative https://t.co/fok5TSpcpP
— Matt Schlapp (@mschlapp) 20 février 2018
Une "libérale classique". Ultime argument de Matt Schlapp : Marion Maréchal-Le Pen aurait des idées proches de celles des conservateurs américains. "Marion est une libérale classique, une conservatrice." Une phrase intéressante, car elle en dit long sur la perception de la jeune femme par la droite outre-Atlantique. Si l'ancienne députée fascine tant, et peut sans problème enjamber le "cordon sanitaire" qui entoure encore sa tante ou son grand-père dans l'esprit de la vaste majorité des conservateurs, c'est grâce à son positionnement libéral économiquement et conservateur socialement. Pendant la campagne présidentielle, elle était ainsi apparue opposée à Marine Le Pen sur des sujets tels que l'avortement ou le mariage homosexuel, prenant résolument position contre, quand la candidate officielle du parti frontiste observait sur ces thèmes, à tout le moins, un silence poli.
Moins étatiste que Marine. Économiquement, la ligne défendue par le Front national n'a pas toujours été claire. Surtout, elle a connu des va-et-vient, avec un Jean-Marie Le Pen qui s'auto-proclamait "Reagan français" dans les années 1970, puis une Marine Le Pen qui a plutôt défendu un État fort. Et c'est plutôt cet étatisme, doublé de protectionnisme, qui s'est imposé ces dernières années en fil rouge des politiques économiques défendues par le Front national. De son côté, Marion Maréchal-Le Pen est plus libérale. En tant que candidate à la tête de la région PACA, en 2015, elle a ainsi défendu tout un tas de mesures pour réduire la fiscalité et simplifier les démarches des entrepreneurs.
Pas suffisant, néanmoins, pour convaincre certains conservateurs américains de la pertinence de sa présence jeudi à la CPAC. L'essayiste Jonah Goldberg a ainsi reconnu que, certes, la jeune femme avait des idées "moins étatistes" que celles de sa tante. "Mais est-ce vrai ? Ou est-elle simplement la Kardashian du Front national, avec une meilleure communication ?"
But you said she's a "classical liberal" and I took you at your word. Is that true? Or is she a National Front Kardashian with better messaging?
— Jonah Goldberg (@JonahNRO) 20 février 2018