Et de quatre. Après son discours sur la colline de la Pnyx à Athènes, celui de la Sorbonne et celui devant le Parlement européen à Strasbourg, Emmanuel Macron a une nouvelle fois pris la parole sur l’avenir de l’Union européenne jeudi. Le président de la République recevait à Aix-la-Chapelle "le prix international Charlemagne", décerné depuis 1950 à une personnalité engagée en faveur de la construction européenne. Une manière d’honorer "un précurseur courageux du renouvellement du rêve européen", soulignent les membres du comité dans leur communiqué. À la tribune, le lauréat a invité ses partenaires à "se battre pour quelque chose de plus grand qu'[eux]-mêmes : reforger une Europe plus forte".
Une distinction éminemment symbolique donc et qui, de l’aveu même de l’Elysée au Point, sonne davantage "comme un encouragement" que comme une récompense pour celui qui, arrivé au pouvoir il y a tout juste un an, a multiplié les déclarations d’intention. Durant la présidentielle, la campagne électorale d’Emmanuel Macron a en effet été marquée par un fort tropisme européen. "La vraie souveraineté passe par une action européenne", écrivait dans son programme, à l'heure du Brexit, celui qui entendait remplacer le clivage gauche/droite par une opposition entre les forces progressistes et les nationalistes. Paroxysme : la victoire au second tour, célébrée dans la cour du Louvre au son de l’Ode à la joie de Ludwig van Beethoven. Avec un détail qui a son importance : le président élu choisit une version expurgée du texte de Schiller - ce que n’avait pas fait François Mitterrand pour son investiture -, à l'image de l’hymne européen, soucieux de ne privilégier aucune langue. Pour autant, la petite musique européenne du fondateur d’En Marche! peine encore à résonner dans les couloirs bruxellois.
De petites avancées…
Un accord sur les travailleurs détachés. C’est la première - et à ce stade peut être l’unique - victoire imputable au président de la République qui avait fait d’une "Europe qui protège" l’un des axes de son ambition européenne. La directive de 1996 sur les travailleurs détachés, permettant à une entreprise de l’UE d’envoyer des salariés travailler dans un Etat membre sans que ceux-ci soient soumis aux charges sociales du pays d’accueil, était accusée de favoriser le dumping social, au détriment de la main d’œuvre française. Le chef de l'Etat a obtenu une révision du texte, en dépit des oppositions de certains pays d’Europe centrale, dont la Pologne. Le nouvel accord prévoit notamment que les travailleurs étrangers soient soumis aux mêmes conditions de rémunération que les nationaux (salaire minimum, prime, treizième mois). Un bémol toutefois : le secteur routier doit faire l’objet d’un texte spécifique attendu d’ici juin.
Taxation des GAFA. Ce n’est pas encore une victoire, loin s’en faut, mais un premier pas. La France entend mettre fin aux petits arrangements financiers des géants du net, qui délocalisent leurs activités en fonction des fiscalités les plus accommodantes. L’Hexagone soutient l’adoption d’une taxe européenne de 3% sur leurs revenus, ce qui est loin d’emballer le Luxembourg et l’Irlande, parmi principaux bénéficiaires des délocalisations pratiquées par les GAFA. De son côté, l’Allemagne serait plutôt favorable à une taxation des profits. La nécessité d’un vote à l’unanimité pour faire passer une mesure fiscale complique la tâche des Français.
"Néanmoins, le contexte est plutôt favorable avec un certain nombre de scandales qui ont créé une vraie prise de conscience dans l’opinion publique et une pression sur les gouvernements", pointe auprès d’Europe 1 Thierry Chopin, directeur des études de la fondation Robert Schuman, qui cite notamment les aides de l'Etat irlandais illégalement perçues par Apple. Ainsi, l'inscription de la taxe GAFA dans les orientations budgétaires post-Brexit, présentées par Jean-Claude Juncker début mai, envoie un signal plutôt positif avant l’élaboration d’un texte définitif.
Vers une Europe de la défense. "Au début de la prochaine décennie, l'Europe devra être dotée d'une force commune d'intervention, d'un budget de défense commun, et d'une doctrine de défense commune pour agir", enjoignait Emmanuel Macron dans son discours de la Sorbonne. Le président réclamait également la création d'une "académie européenne du renseignement". Début décembre, le Conseil de l’UE a acté la mise en place d’une Coopération structurée permanente, prévue par l’accord de Lisbonne, mais jamais appliquée jusqu’à présent. Elle porte toutefois davantage sur le développement de programmes d’armement communs que sur une réunion des moyens européens de défense.
Alors que le président avait aussi évoqué un "parquet européen de lutte contre la criminalité organisée et le terrorisme", les eurodéputés ont acté cet automne la création d’un parquet européen, attendu en 2020, et dont la mission sera de "combattre les infractions pénales portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union". Néanmoins, sept des 28 Etats membres ont d’ores et déjà refusé de s’associer à ce projet.
… Beaucoup d’incertitudes…
La réforme de la zone euro. Il s’agit certainement du fer de lance du programme européen d’Emmanuel Macron et certainement du projet le plus difficile à faire avaler à ses partenaires : la création d’un budget de la zone euro, destiné à assurer la stabilité financière de la zone en cas de crise, et piloté par un ministre de l’Economie et des Finances. Une ambition également soutenue par l’Espagne, mais jusqu’ici freinée par la tiédeur des Allemands. Angela Merkel avait indiqué en juillet dernier qu’elle consulterait son parlement sur le sujet, avant de se retrouver plongée dans les affres de sa difficile réélection. "Les divergences sont fortes avec les gouvernements et les opinions des pays du nord-ouest de l’Europe qui craignent un transfert des risques des pays débiteurs vers les pays créditeurs", explique Thierry Chopin.
"Je crois à un budget européen beaucoup plus ambitieux [...] Je crois à une zone euro plus intégrée, avec un budget propre", a répété Emmanuel Macron à la chancelière jeudi, en marge de la remise du prix Charlemagne. Il n'a pas hésité non plus à tacler le "fétichisme perpétuel" des Allemands pour "les excédents budgétaires et commerciaux, car ils sont faits aux dépens des autres".
… Et quelques revers
Renouvellement du glyphosate. En dépit de l'opposition de la France à cet herbicide controversé, le glyphosate a obtenu des Etats membres de l’UE une nouvelle autorisation pour cinq ans fin novembre. Emmanuel Macron n'a pas voulu s'en tenir à cette défaite. Un tweet plus tard, le chef de l’Etat a annoncé l’interdiction totale de ce produit en France, "dès que des alternatives auront été trouvées et au plus tard dans trois ans".
Les listes transnationales rebutées. Autre revers, aux conséquences plus politiques cette fois, le refus du Parlement d’adopter des listes transnationales pour les élections européennes de 2019. Cette proposition était une manière pour le chef de l'Etat de déplacer le débat sur l’avenir de l’UE au-delà du cadre national, mais aussi de contourner le jeu des partis, puisqu’à ce stade La République en Marche! n’a aucun partenaire européen, à la différence, par exemple, des Républicains, rangés sous la bannière du Parti populaire européen (PPE) qui réunit également la CDU-CSU d’Angela Merkel. De la même manière que s’est constituée la majorité présidentielle à l’Assemblée nationale, ce système aurait pu permettre à Emmanuel Macron de réunir des inscrits issus d’horizons divers autour d’un même projet. Une hypothèse douchée par l'opposition du PPE, qui a dénoncé via son délégué français, Franck Proust, "des usines à gaz pour empêcher les électeurs de savoir précisément pour quels candidats ils veulent et peuvent vraiment voter".
Échéance électorale. Les européennes représentent un enjeu crucial pour Emmanuel Macron. D’autant que la remise en place d’un scrutin national pour cette élection pourrait donner à ses adversaires l’envie de rejouer la présidentielle. Le chef de l’Etat "a mis énormément de son crédit politique dans son projet européen", souligne Thierry Chopin. Un projet jusqu'alors freiné par la montée des populismes, en Autriche ou en Italie dernièrement, mais aussi par la paralysie d’Angela Merkel, qui a passé de longues semaines à trouver un accord de gouvernement avec les sociaux-démocrates allemands. Pour Emmanuel Macron, obtenir une victoire politique en Europe avant l’échéance de 2019, sur la taxation des GAFA par exemple ou la réforme de la zone euro, lui permettrait d’affirmer le leadership de la France. "Après les objectifs ambitieux, les discours très allants, il va falloir obtenir des résultats maintenant", conclut Thierry Chopin.