La Corée du Sud tourne une page tourmentée de son histoire. Avec la victoire à la présidentielle de Moon-Jae In, candidat du Parti démocratique, les électeurs sud-coréens ont mis fin à dix ans de pouvoir conservateur, marqué par la destitution de l’ex-présidente Park Geun-Hye, impliquée dans un énorme scandale de corruption. L’arrivée au pouvoir de cet homme de centre-gauche est également un événement en raison de sa position d’ouverture et de dialogue vis-à-vis de la Corée du Nord. Alors que les tensions sont vives dans la région, le nouveau président sud-coréen peut-il réconcilier les deux pays ?
Un président partisan du dialogue. Durant dix ans, le pouvoir conservateur a été adepte de la fermeté vis-à-vis de son voisin, avec lequel il est toujours officiellement en guerre depuis 1953 (date de l'armistice qui a mis fin à la guerre de Corée). Le nouveau président, lui, affiche une ligne nettement plus ouverte. Moon Jae-In prône le dialogue avec la Corée du Nord afin de désamorcer les tensions et de l'inciter à revenir à la table des négociations.
"Pendant dix ans, il n’y a pas eu d’évolution. La présidente conservatrice a suivi une ligne qui refusait tout compromis. Désormais, on peut entrer dans une nouvelle période", analyse Pierre-Olivier François, journaliste et réalisateur spécialiste des deux Corées, interrogé par Europe 1. Le président a même affirmé qu’une fois élu, il pourrait aller en Corée du Nord avant de se rendre aux États-Unis. "Ce changement sémantique est déjà très important. Mais ça ne dépend pas que de lui".
Les Etats-Unis et la Chine, acteurs incontournables. Pour mener à bien sa politique d’ouverture, Moon Jae-In va cependant devoir mener d’intenses tractations diplomatiques. Depuis la fin de la guerre de Corée, les Etats-Unis assurent la protection du Sud, avec la présence de près de 30.000 soldats américains sur son sol, et possèdent, de fait, une influence considérable sur le pays. Séoul doit aussi composer avec son puissant voisin chinois, fidèle allié du Nord, ainsi que la Russie, elle aussi soutien de Pyongyang.
"La fin de la guerre de Corée a été signée par la Corée du Nord et la Chine d’un côté, et les Etats-Unis au nom de l'ONU de l’autre. C’est donc toujours un billard à trois ou quatre bandes. Quand le Sud discute, il doit être d’accord non seulement avec les Etats-Unis, mais aussi la Chine et dans une moindre mesure la Russie et le Japon", explique Pierre-Olivier François, qui a réalisé en 2013 le documentaire "Corée, l’impossible réunification ?".
Trump a une partie des clés. Le nouveau président sud-coréen a également affirmé vouloir changer de politique vis-à-vis du puissant allié américain. Dans un récent livre, il écrivait que Séoul devait apprendre à dire "non" à Washington, plaidant pour des relations "plus justes et plus équilibrées" avec les Etats-Unis. Mais la position de Donald Trump reste floue. Le président américain, d’abord enclin à envisager l’usage de la force militaire face au Nord, a adouci le ton ces dernières semaines.
"La situation est inhabituelle parce que les acteurs sont inhabituels. La Corée du Nord est un acteur prévisible, contrairement à ce qui est souvent dit. Au contraire, Donald Trump est jusqu'ici imprévisible. Sa position est fluctuante, et on a l'impression que l’administration américaine elle-même ne sait pas exactement ce qu’elle veut faire", estime Pierre-Olivier François.
Le Nord officiellement ouvert au dialogue, mais... Le nouveau président sud-coréen va devoir également attendre la réaction du régime de Pyongyang, qui est, du moins officiellement, ouvert au dialogue. "La Corée du Nord va peut-être saisir cette main tendue, ou seulement un seul doigt. Ce sera peut-être des petits pas avant des grands pas", poursuit Pierre-Olivier François. Le chemin vers la réconciliation, s’il y en a une, sera donc encore très long. "Tout le monde est conscient que ce sera un rapprochement lent. Ce ne sera pas une situation à l’allemande (une réunification comme entre ex-RFA et ex-RDA). Idéalement, ce sera une histoire coréenne".