Kigali a ouvert mardi une enquête sur le rôle de vingt responsables français dans le génocide rwandais en 1994, a annoncé le procureur général de ce pays, une décision qui pourrait à nouveau affecter les relations diplomatiques entre les deux capitales. Une commission rwandaise avait publié le 1er novembre une liste de 22 officiers supérieurs français qu'elle accuse d'implication dans le génocide, en réponse à la décision de deux juges français de relancer l'enquête sur l'attentat contre le président rwandais Juvénal Habyarimana le 6 avril 1994.
Deux généraux français nommés. "Au fur et à mesure que les enquêtes se poursuivent, d'autres agents et/ou fonctionnaires français pourraient être appelés à assister l'Organe de poursuite dans le même sens", selon un communiqué du procureur général, Richard Muhumuza. Les autorités françaises ont été formellement informées "et le bureau du procureur général s'attend à ce que ces autorités compétentes veuillent bien coopérer tout au long de cette enquête judiciaire".
"Des hauts gradés français et des personnalités politiques ont commis au Rwanda des crimes très graves", avait accusé la Commission nationale de lutte contre le génocide (CNLG) dans un rapport intitulé "La manipulation du dossier de l'avion d'Habyarimana, une occultation des responsabilités françaises dans le génocide". Parmi eux, figurent le général Jacques Lanxade, ancien chef d'état-major de l'armée française, et le général Jean-Claude Lafourcade, qui commandait la force Turquoise déployée le 22 juin 1994 au Rwanda sous mandat de l'ONU.
L'attentat contre le président Habyarimana en toile de fond. Le Rwanda accuse depuis des années la France de participation au génocide, et la relation houleuse entre les deux pays a pris un nouveau tournant depuis que la justice française a rouvert une enquête en octobre afin d'entendre un ancien chef d'état-major rwandais, qui accuse l'actuel président Paul Kagame d'avoir été l'instigateur de l'attentat contre le président Habyarimana. L'attentat contre l'avion présidentiel, au cours duquel fut tué le président hutu, est considéré comme l'événement déclencheur du génocide, qui a duré cent jours et était parfaitement préparé.
Opération Turquoise. La France, qui était alliée du régime hutu d'Habyarimana, est accusée par Kigali d'avoir ignoré les signes montrant qu'un génocide était imminent et d'avoir entraîné les soldats et les miliciens qui ont perpétré les massacres. Au moment du génocide, la France a été accusée d'avoir utilisé ses moyens diplomatiques pour bloquer toute action. Quand la France a finalement envoyé sur place ses soldats - l'Opération Turquoise -, elle a été accusée de l'avoir fait pour contrecarrer la progression des forces tutsi du Front patriotique rwandais (FPR), qui ont pris ensuite le pouvoir, et pour permettre aux Hutus auteurs du génocide de s'enfuir au Zaïre (aujourd'hui République démocratique du Congo).
Paris a maintes fois répondu que le déploiement de ses soldats a fait cesser les assassinats et a permis de sauver des milliers de vies humaines. Les responsables français insistent aussi sur le fait que la responsabilité de ne pas avoir empêché le génocide doit être partagée par l'ensemble de la communauté internationale. Elle accuse le régime du président rwandais Paul Kagame de soulever cette question pour détourner l'attention à propos du non-respect des droits de l'Homme au Rwanda.