Le président français Emmanuel Macron s'est dit "dubitatif" mardi sur la nomination de l'Américaine Fiona Scott Morton à un poste clé de l'UE pour la régulation des géants de la tech et a affirmé attendre des réponses de la Commission européenne. Sa déclaration faite à Bruxelles, en marge d'un sommet avec les pays d'Amérique latine et des Caraïbes, intervient juste avant une audition de la vice-présidente de l'exécutif européen, Margrethe Vestager, au Parlement européen. La nomination de Mme Scott Morton comme nouvelle économiste en chef à la Direction générale de la concurrence a été jugée scandaleuse par des eurodéputés qui réclament des explications.
La Commission européenne avait adressé vendredi une fin de non-recevoir au gouvernement français qui a demandé l'annulation du recrutement de cette professeure d'économie à la prestigieuse université de Yale. "Si nous n'avons aucun chercheur (européen) de ce niveau pour être recruté par la Commission, ça veut dire que nous avons un très grand problème avec tous les systèmes académiques européens", a répliqué mardi Emmanuel Macron, interrogé par des journalistes. Il a par ailleurs souligné l'absence de "réciprocité" de la part des États-Unis et de la Chine pour nommer des Européens qui seraient "au coeur de (leurs) décisions".
"Beaucoup de respect" pour l'experte
Des élus ont épinglé les anciennes fonctions de Mme Scott Morton comme responsable de l'analyse économique à la division antitrust du ministère américain de la Justice, entre 2011 et 2012, ou de consultante pour des grands groupes de la tech comme Amazon, Apple et Microsoft. Ils dénoncent de possibles conflits d'intérêts et le risque d'une ingérence de Washington dans des décisions de l'UE. M. Macron a souligné avoir "beaucoup de respect" pour l'experte américaine. Mais "elle a été embauchée par beaucoup d'entreprises et devrait se porter en retrait de ces situations ce qui rend assez inopérant ce pour quoi on l'embauche", a-t-il estimé.
"Je pense que les Européens ont besoin de développer des compétences européennes, d'avoir une autonomie stratégique (...), il faut avoir une autonomie de pensée" et le recrutement de Mme Scott Morton "n'est pas forcément la décision la plus cohérente à cet égard", a-t-il critiqué.
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"Shérif américain"
L'audition de Mme Vestager, prévue mardi en fin d'après-midi, sera ouverte à tous les députés européens et devrait être retransmise en direct sur le site du Parlement. "C'est une bonne occasion de pouvoir défendre cette décision prise par le collège des commissaires", a expliqué à l'AFP un responsable de l'exécutif européen, sous couvert de l'anonymat. La puissante Direction générale de la concurrence est chargée de veiller au bon fonctionnement de la concurrence dans l'Union européenne (UE) et d'enquêter notamment sur les abus de position dominante des géants du numérique, qui ont donné lieu à des amendes record ces dernières années. La nomination de Mme Scott Morton survient au moment où l'UE doit mettre en œuvre de nouvelles législations ambitieuses pour réguler ce secteur. Elle nourrit les critiques contre Mme Vestager et Mme Von der Leyen, considérées comme très atlantistes.
"Nous avons mis fin au Far West numérique pour nommer un shérif américain ? (...) Cette nomination va à l'encontre de notre souveraineté et de notre autonomie stratégique", a déclaré l'eurodéputée Stéphanie Yon-Courtin (Renew, centristes et libéraux), à l'initiative de l'audition de Mme Vestager. La Commission relativise toutefois les responsabilités qui seront assumées par Mme Scott Morton, assurant qu'il ne s'agit pas d'un poste décisionnel mais seulement d'une fonction de conseiller auprès de Mme Vestager. Fiona Scott Morton n'a pour l'instant pas réagi à la polémique, malgré certaines voix l'appelant à abandonner sa candidature.
Elle a reçu lundi le soutien d'une quarantaine d'économistes de renom, dont les Français Philippe Aghion et Olivier Blanchard. "Nous, Européens, avons beaucoup de chance d'avoir attiré quelqu'un de son calibre", ont-il estimé dans une tribune commune, jugeant qu'elle avait "oeuvré sans relâche pour convaincre les législateurs américains de moderniser la régulation des grandes entreprises technologiques".