Le contexte. Le nouveau gouvernement conservateur polonais prépare des réformes controversées qui vont déboucher sur un remaniement profond des médias publics et du Tribunal constitutionnel. Des mesures qui inquiètent la Commission européenne qui a lancé, mercredi midi, une procédure formelle de surveillance du respect de l'Etat de droit.
Que prévoient les deux lois pointées du doigt ? Il s’agit de deux lois bien distinctes votées fin 2015, par le gouvernement conservateur de Varsovie. La première, adoptée le 24 décembre, modifie les règles du vote à majorité qualifiée du Tribunal constitutionnel, où cinq nouveaux juges ont été placés par le nouveau gouvernement. L’adoption du texte a déclenché un bras de fer avec le président de cette cour.
La seconde loi, votée à la hâte le 30 décembre, met fin immédiatement aux mandats des membres des directions et des conseils de surveillance de la télévision et de la radio publiques, et confie le pouvoir de les nommer au ministre du Trésor. En bref, ce texte soumet de fait la télévision et la radio publiques au contrôle du gouvernement.
Si ces nouvelles lois ne sont pas directement en infraction avec la législation européenne, elles soulèvent, néanmoins, à Bruxelles des questions sur le respect en Pologne de l'Etat de droit, "fondement de toutes les valeurs sur lesquelles repose l'Union".
Pourquoi la Commission européenne s’en mêle-t-elle ? Parce qu’elle en a le droit. Lorsqu’il y a un risque d’atteinte à l’Etat de droit, la Commission européenne peut activer une procédure de surveillance "afin d'empêcher toute escalade dans les menaces systémiques envers l'Etat de droit" chez un membre de l'Union européenne. Il s’agit d’un mécanisme créé en 2014, mais encore jamais utilisé.
Si une "dégradation systémique portant atteinte à l'intégrité, la stabilité et au bon fonctionnement des institutions" est constatée, la Commission peut activer une procédure de sauvegarde de l'Etat de droit, sous forme d'un "dialogue" avec l'Etat membre concerné en trois étapes (évaluation suivie d'un avis, recommandation pour résoudre les problèmes constatés, puis suivi de sa mise en oeuvre).
Qu’est-ce qui va se passer maintenant ? Pas grand chose. Il s’agit, pour le moment d’un simple "débat d'orientation" pour faire le point sur les échanges entre le vice-président de la Commission, Frans Timmermans, et le gouvernement polonais issu du parti conservateur Droit et Justice (PiS) de Jaroslaw Kaczynski, vainqueur des élections d'octobre. "Il ne faut pas surdramatiser. Notre approche est très constructive. Nous ne sommes pas en train de taper sur la Pologne", a expliqué récemment le président de la Commission, Jean-Claude Juncker. "Nous sommes au début de la procédure (...) Je ne veux pas spéculer sur ce qui arrivera ensuite".
Quelle est la réaction de la Pologne ? Le ministre de la Justice polonais, Zbigniew Ziobro, s'est dit "stupéfait" devant ce qu'il qualifie de "tentative de faire pression sur un Parlement démocratiquement élu et le gouvernement d'un Etat souverain", dans une lettre au vice-président de la Commission, Frans Timmermans. "Puis-je vous demander d'observer à l'avenir une plus grande retenue dans les leçons à donner à un Parlement et à un gouvernement d'un Etat souverain et démocratique, malgré les différences idéologiques qui peuvent exister entre nous", conclut le ministre polonais dans cette missive qu'il a publiée sur Twitter.
Que se passe-t-il s’il n’y a pas de consensus ? En cas d'échec, les traités européens prévoient une sanction ultime : retirer au pays son droit de vote lors des sommets et réunions ministérielles de l'UE. Mais une telle "option nucléaire", comme l'ont décrite plusieurs responsables européens, semble à ce stade exclue pour la Pologne. La Première ministre Beata Szydlo viendra en personne "défendre la réputation de la Pologne" au Parlement européen à Strasbourg le 19 janvier. Elle s'est entretenue téléphoniquement pendant 45 minutes mardi avec Jean-Claude Junker, pour "élucider le caractère de la discussion" prévue mercredi à Bruxelles.