Dans le village de La Isla, au pied du volcan San Cristobal, au coeur de la nature luxuriante du Nicaragua, les maisons sont toutes décorées de la même façon : une succession de cadres photos représentant les pères, les fils, les maris disparus. Ici, aucun homme ne dépasse les cinquante ans. Chaque jour, au moins deux enterrements réunissent l'ensemble des habitants. En cause : une insuffisance rénale chronique contractée à cause de l'usage constant de pesticides, d'herbicides et d'engrais par la raffinerie San Antonio, la plus grande entreprise de canne à sucre d'Amérique centrale, qui se trouve à quelques kilomètres seulement du village.
À La Isla, c'est la seule entreprise qui offre du travail aux hommes. Ces derniers travaillent douze heures par jour, sans gants ni combinaisons, boivent de l'eau contaminée, sont arrosés de pesticides par l'épandage aérien. On dénombre déjà cinq mille malades et trois mille morts. Le nombre de décès a été multiplié par cinq ces vingt dernières années. Les veuves réclament, en vain, une pension pour continuer à vivre. Mais la raffinerie appartient à l'une des familles les plus puissantes de la région, et sa direction est tout sauf prête à admettre l'étendue du problème.