Faut-il continuer dans la même direction ou bien prendre un autre chemin ? 64 millions d'électeurs turcs doivent désigner ce dimanche celui qui justement montrera la voie : Erdogan, au pouvoir depuis 20 ans, ou une opposition unie derrière un candidat Kemal Kiliçdaroglu. Pour la première fois, le président sortant est plus menacé que jamais et le scrutin s'annonce extrêmement serré. Présent dans Europe 1, le politologue et chercheur au centre de recherche international de Sciences Po, Bayram Balci, revient sur cette opposition qui divise plus que jamais la Turquie.
"Effectivement, ça sera assez serré. C'est prévu et c'est annoncé par tous les sondages et enquêtes d'opinion. Ce qui est représentatif d'une Turquie qui est partagée entre Erdogan et Kiliçdaroglu. Une bonne partie des questions sont des questions qui divisent. Mais a priori, tous les sondages montrent qu'il y aura un changement de pouvoir", admet le spécialiste au micro d'Europe 1.
Deux décennies bien distinctes
Mais après 20 ans au pouvoir, quel bilan pour le président sortant ? "La première décennie de Erdogan est plutôt positive à tous les niveaux, économique, politique étrangère et même au niveau de démocratisation. La deuxième est beaucoup plus terne, aussi bien au niveau économique que sur les droits de l'Homme, la liberté et la politique étrangère", explique Bayram Balci. Pour lui, c'est probablement cette dernière qui est en train de lasser la population turque, gênée et peinée par la situation économique et l'image de la Turquie, décriée à l'étranger. "Je pense que ce sont des choses qui vont jouer dans le choix des électeurs turcs ce dimanche", admet-il.
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Si la population semble plus que divisée en Turquie, notamment à cause de l'inflation que connait le pays, la diaspora turque, elle, penche généralement en faveur de Erdogan. Notamment en France, ils avaient voté à 63% pour le président sortant il y a cinq ans. Pourquoi un tel constat ? "C'est une tendance générale. Souvent, les Turcs de l'étranger, ils votent beaucoup plus conservateur parce qu'à l'origine, ils sont issus de de l'Anatolie traditionnelle. Ils ont aussi un regard beaucoup plus romantique par rapport à la Turquie. Ils ont le sentiment que c'est elle qui incarne, entre guillemets, la vraie Turquie", explique le politologue.
Qui est Kemal Kiliçdaroglu ?
Face à Erdogan, pour la première fois, une opposition est unie derrière le candidat Kemal Kiliçdaroglu. "À l'origine, il appartient à une mouvance politique, à une famille politique très kémaliste, séculière, et occidentale. Mais aussi, sur certaines questions de politique étrangère, il est beaucoup souverainiste", détaille le chercheur. Selon lui, ces dernières années, à cause de la dérive autoritaire de Erdogan, l'opposition, pour pouvoir le battre, est devenue beaucoup plus modérée, plus libérale. Par ailleurs, c'est aussi le chef d'une coalition de ces partis politiques qui est très hétérogène et hétéroclite. "S'il arrive au pouvoir, ça sera la difficulté. C'est-à-dire de gérer et de concilier les diverses tendances qui sont au centre de l'opposition", estime Bayram Balci.
Le silence des dirigeants européens
Face à cette élection présidentielle, les dirigeants européens adoptent un silence très prudent. "Ce qui est très sage. C'est la meilleure façon d'aider les Turcs à choisir eux-mêmes. Ils n'osent pas intervenir parce que s'ils avaient trop critiqué la politique Erdogan, je pense que ça lui aurait indirectement servi. De ce fait, l'attitude a été assez responsable. De toute façon, ils seront amenés à gérer les mêmes questions, les mêmes difficultés. Il vaut mieux ne pas prendre position pour qu'il y ait un respect du choix des Turcs", apprécie le politologue.
Pour Bayram Balci, l'opposition va arriver au pouvoir, si cela arrive, avec un style beaucoup plus modéré. "En revanche, sur certaines questions qui fâchent, qui divisent les Européens, les Occidentaux et la Turquie, je pense qu'il y aura des difficultés, notamment sur la question chypriote, sur l'intervention du pays en Lybie, en Syrie, et sur la question arménienne", détaille-t-il au micro d'Europe 1. Des choses vont encore demeurer, il appartiendra donc aux deux parties de fournir des efforts pour les gérer ensemble.