Une lourde amende. L'Autorité de la concurrence a prononcé une sanction inédite de 3,5 millions d'euros contre le groupe Amaury, éditeur du quotidien sportif L'Equipe, pour avoir, fin 2008, mis en œuvre une "stratégie d'éviction anticoncurrentielle" contre le journal Le 10 Sport, a-t-elle annoncé jeudi. C'est la première fois que le gendarme de la concurrence condamne une entreprise de presse sur ce motif, et prononce une amende aussi lourde dans ce secteur.
Retour sur les faits. En septembre 2008, l'homme d'affaires Michel Moulin (photo) et le groupe NextRadioTV annoncent le lancement d'un quotidien sportif à bas coût appelé Le 10 Sport, venant ainsi chasser sur les plates-bandes de L'Equipe, en situation de monopole. Mais deux semaines plus tard, le groupe Amaury, propriétaire de L'Equipe et du Parisien-Aujourd'hui en France, annonce à son tour le lancement d'un quotidien sportif, Aujourd'hui Sport…
Même prix (0,50 euro), même format (une vingtaine de pages en couleur), même ligne éditoriale (majoritairement du foot) : la ressemblance avec Le 10 Sport est frappante. Au point que ce dernier saisit en décembre 2008 l'Autorité de la concurrence, reprochant au groupe Amaury "des pratiques commerciales déloyales" et "une pratique d'éviction consistant à avoir mis sur le marché un nouveau journal dans le seul but de faire sortir" Le 10 Sport.
Une stratégie qui a "payé", puisque dès mars 2009, Le 10 Sport arrête son rythme de publication quotidien et devient hebdomadaire. Trois mois plus tard, Aujourd'hui Sportannonce de son côté son arrêt, officiellement parce que les perspectives de marché "ne permettent pas d'assurer une viabilité à moyen terme".
Le "projet Shangaï". En réalité, Aujourd'hui Sport a bel et bien été créé uniquement pour achever Le 10 Sport. Dans un communiqué résumant sa décision, l'Autorité de la concurrence dévoile la stratégie déployée par le groupe Amaury pour tuer dans l'œuf le nouveau concurrent. Ainsi, le groupe a bâti un plan intitulé "projet Shangaï", prévoyant plusieurs scénarios possibles pour riposter au 10 Sport. L'un d'entre eux consistait à refondre le journal L'Equipe, un autre préconisait le lancement d'un nouveau quotidien. C'est ce dernier qui a finalement été retenu.
"Pour chaque scénario, le groupe avait établi des plans d'affaires évaluant les coûts et les bénéfices attendus", note l'Autorité, qui s'appuie sur des perquisitions menées par ses agents en mai 2009. Elle ajoute que le choix de lancer un nouveau journal "n'était pas rationnel d'un point de vue économique pour le groupe Amaury puisqu'il générait un sacrifice financier important". En effet, en lançant Aujourd'hui Sport, le groupe de presse menaçait aussi les ventes de son propre quotidien, L'Equipe !
Des salariés en CDD. Autre élément confortant cette stratégie de killer : les salariés travaillant pour Aujourd'hui Sport ont été soit recrutés en CDD, soit détachés d'autres filiales du groupe. Quant à l'arrêt du titre, il est intervenu "au moment même où la diffusion augmentait et alors que la saison estivale était propice au développement du média", remarque, pas dupe, le gendarme de la concurrence.
Pour toutes ces raisons, l'Autorité a conclu à une "stratégie anticoncurrentielle" menée par le groupe Amaury, qui avait pour "seul but de protéger le monopole de L'Équipe". Il n'empêche que l'opération commando a parfaitement fonctionné. Désormais, Le 10 Sport ne subsiste plus que sous la forme d'un mensuel et d'un site web. Et L'Equipe reste le seul quotidien sportif en France.