C'était en mars 2005. Le lancement en grande pompe de la télévision numérique terrestre (TNT), une nouvelle norme de diffusion, multipliait le nombre de chaînes gratuitement accessibles pour les Français. Un évènement qui allait "bouleverser le paysage audiovisuel français", prédisait alors le quotidien Les Echos. Et permettre notamment d'enrichir l'offre de programmes pour les téléspectateurs.
>> Nostalgique ? Revivez le lancement de Direct 8 (devenue depuis D8), le 31 mars 2005 :
Mais plus de huit ans après, la nouveauté est-elle vraiment au rendez-vous ? Pas vraiment… Selon les calculs d'Europe1.fr, basés sur les programmes TV de cette semaine publiés sur le site de Télé 7 Jours, la part de contenus inédits (jamais diffusés en France) sur les six principales chaînes généralistes de la TNT reste faible.
Talk-shows contre vieilles séries. D8 (groupe Canal+), leader des chaînes TNT, consacre 30% de son temps d'antenne à des programmes inédits cette semaine, avec une moyenne de cinq heures par jour. Si les talk-shows comme Touche pas à mon poste (photo) ou Le Grand 8 apportent un vent d'air frais, la chaîne consacre par exemple ses après-midi entiers à des séries anciennes comme Friends et Navarro. Et D8 rediffuse Touche pas à mon poste deux fois par jour…
W9 (groupe M6), qui diffuse 15% d'émissions inédites, s'appuie sur ses formats de téléréalité (Les Ch'tis et Séduis-moi si tu peux) et son magazine Enquête d'action. Même recette pour NRJ 12, avec L'Ile des vérités et Le Mag. NT1 (groupe TF1) diffuse des épisodes de séries américaines pas encore vus à la télévision française (Ghost Whisperer, How I met your mother).
France 4, également grande spécialiste des rediffusions de feuilletons, se sauve grâce à des émissions inédites en soirée. Quant à TMC, une autre chaîne de TF1, elle ne propose que 5% d'inédit. En semaine, sa seule émission "originale" est le magazine Sans aucun doute de Julien Courbet...
L'inédit, plus cher et plus risqué. Pourquoi, huit ans après son lancement, la TNT est-elle toujours une usine à rediffusions ? Pour des raisons économiques, tout simplement. "Ces chaînes sont des entreprises, pas des associations", sourit Olivier Roberdeau, directeur TV de l'agence Mindshare, contacté par Europe1.fr. "Leur objectif est de maximiser ce que leur rapporte la publicité par rapport au coût de leurs grilles de programmes". Or, "même si vous réalisez 5% d'audience en plus grâce à de l'inédit, ce n'est pas intéressant parce que ça coûtera beaucoup plus cher qu'une rediffusion". D'autant que le résultat n'est pas garanti, d'où la frilosité des chaînes. "Commander un programme inédit, c'est comme acheter une nouvelle voiture d'une marque inconnue, que personne n'a testée", compare Olivier Roberdeau.
Recyclage des grands groupes. En outre, ces chaînes de la TNT appartiennent à des grands groupes. TF1, M6, France Télévisions et autres Canal+ ont pris l'habitude d'y rediffuser des programmes qu'ils avaient acquis pour leurs "grandes chaînes". Ainsi, TF1 recycle sur sa petite sœur TMC des séries comme New York, section criminelle (photo) et Las Vegas. Un moyen de remplir des grilles à moindres frais, même si "une rediffusion n'est pas gratuite, cela est prévu par les contrats d'acquisition", précise Olivier Roberdeau.
Le public suit. De leur côté, les téléspectateurs ne semblent pas bouder ces choix de programmation. Sur l'année 2012, les chaînes lancées en 2005 ont dépassé les 20% de part d'audience au total. Un score honorable, qui montre que le public n'est pas forcément mécontent de revoir des programmes de jadis. Néanmoins, l'ascension récente de D8 montre qu'un plus fort taux d'émissions originales est susceptible de faire grimper l'audience. D8, qui diffuse deux fois plus d'inédits que ses principales concurrentes, est devenue la première chaîne de la TNT en septembre. Mais son propriétaire, Canal+, l'a payé au prix fort : le coût de la grille de D8 devrait atteindre 120 millions d'euros d'ici 2015, soit trois fois plus que pour TMC.
Une évolution ? Pour autant, l'exemple D8 pourrait-il encourager les autres chaînes à miser sur des programmes originaux ? "Ça donne un signal", confirme Olivier Roberdeau, qui estime que le taux d'émissions inédites a augmenté depuis le lancement de la TNT. "Mais ce sont des petites niches, comme le football féminin, qui est apparu à la télé grâce à la TNT". Pour lui, l'inédit devrait continuer à monter en puissance, mais lentement : "les chaînes, au fur et à mesure qu'elles ont des rentrées d'argent, se lancent dans des productions propres, mais ça ne se fait pas du jour au lendemain". Ça tombe bien, on n'avait pas fini toutes les saisons de Plus belle la vie.