Netflix en France ? Depuis plusieurs mois, l'hypothèse agite le petit monde du divertissement. Elle se fait de plus en plus précise. Des représentants du géant de la vidéo à la demande par abonnement (SVOD) étaient déjà venus tâter le terrain en décembre, lors d'une visite à l'Elysée. Ils seront de retour dans les quinze prochains jours pour entamer des négociations commerciales.
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Des producteurs de cinéma aux créateurs de séries télévisées, en passant par les fournisseurs d'accès à Internet, nombreux seront les acteurs affectés par un éventuel débarquement de Netflix. Mais au premier rang des concernés, on trouve surtout les chaînes de télévision et leurs propres services de VOD.
Certes, le contexte n'est pas le même qu'aux Etats-Unis, où Netflix s'est imposé en proposant un abonnement mensuel à 7,99 dollars pour visionner en illimité des milliers de films et séries. "Là-bas, il faut payer 70 euros pour avoir accès à une offre TV, donc Netflix apparaît comme une alternative très intéressante", explique un observateur du secteur. "En France, où la télévision est gratuite, l'avantage comparatif est beaucoup moins évident".
Le rouleau-compresseur Netflix en France dès septembre ?
Pour autant, les chaînes françaises se méfient d'un tel mastodonte. Car depuis son lancement en tant que loueur de DVD, en 1997, Netflix écrase tout sur son passage. Désormais forte de 44 millions d'abonnés, l'entreprise s'est étendue hors de ses frontières. Après s'être installé au Canada et en Amérique latine, Netflix a traversé l'Atlantique depuis 2012. Le service est aujourd'hui présent dans sept pays européens, dont le Royaume-Uni, l'Irlande et récemment les Pays-Bas.
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La France figure dans la liste des prochaines étapes, a prévenu Netflix à mots couverts. "Nous prévoyons de nous embarquer plus tard cette année dans une expansion importante en Europe", a averti la société dans un communiqué, le 22 janvier. Depuis plusieurs mois, les spéculations vont bon train sur la date du débarquement. Ce serait pour le mois de septembre, selon plusieurs informations de presse.
Le PAF se prépare
Dans tous les cas, il n'est pas question pour les acteurs hexagonaux d'attendre sagement le jour J pour fourbir leurs armes. Parmi les premiers concernés, Canal+, qui pourrait craindre que ses abonnés préfèrent une offre bien moins chère pour regarder films et séries. La chaîne cryptée assure donc ses arrières. La semaine dernière, elle a annoncé la création d'une nouvelle direction "en charge des offres mobiles et individuelles". Celle-ci aura en particulier "la charge de déployer des offres payantes via l'Internet ouvert", c'est-à-dire indépendamment des fournisseurs d'accès… comme le fait Netflix !
Chez Canal, on invoque cependant un hasard du calendrier. "Nous ne nous positionnons pas en fonction d'un acteur en particulier", indique la chaîne à Europe1.fr "Nous essayons simplement de vivre avec notre époque et de nous adapter aux attentes des consommateurs". Canal+ assure par ailleurs que son offre est suffisamment solide pour contrer Netflix : "nous ne jouons pas sur le même terrain. Netflix, c'est essentiellement une offre de contenus anciens. Chez nous, les abonnés ont accès à du sport en exclusivité, du divertissement, des films dix mois après leur sortie et des séries récentes. Ce n'est pas comparable". Le groupe met aussi en avant la puissance de son service CanalPlay, l'une des principales offres VOD en France.
TF1, également présent sur le marché de la vidéo à la demande avec MyTF1VOD, prépare aussi le terrain. Officiellement, les responsables de la Une se refusent à commenter une prochaine arrivée de Netflix. Mais depuis plusieurs semaines, le groupe "réfléchit à la bonne offre à assembler" et étudie "plusieurs scénarios", a indiqué lundi Olivier Abecassis, le directeur général d'eTF1, selon des propos rapportés par Stratégies. TF1 envisagerait de développer une offre de vidéo à la demande par abonnement (SVOD) à un tarif compris entre 7 et 10 euros, comparable à celui de Netflix.
Une réglementation contraignante
Mais au-delà de la concurrence, Netflix se heurtera surtout à la sévère réglementation préservant "l'exception culturelle"... et qui protège du même coup les acteurs déjà installés. Ainsi, en France, un film ne peut être proposé en vidéo à la demande par abonnement que trois ans après sa sortie en salles, en vertu de la fameuse "chronologie des médias" qui encadre la diffusion des œuvres sur chaque support. Autrement dit, avant que Netflix ne puisse proposer un film, celui-ci sera sorti en DVD depuis belle lurette, et aura probablement déjà été diffusé à la télévision, aussi bien en payant qu'en clair.
Par ailleurs, s'il veut proposer des œuvres françaises, Netflix devra participer à leur financement, comme sont tenues de le faire les chaînes de télévision. Des règles que le gouvernement entend bien faire appliquer au nouveau venu. "S'il veut s'installer en France, Netflix doit se plier aux régulations qui vont le succès de nos industries", a averti dimanche la ministre de la Culture, Aurélie Filippetti (photo), dans les colonnes du JDD.
Une force, les séries
Des contraintes qui permettent à la concurrence de relativiser le potentiel de Netflix en France. Privé de films récents, celui-ci pourrait cependant se rattraper sur les séries, dont la diffusion n'est pas soumise à un calendrier contraignant. Depuis trois ans, le groupe s'est en effet lancé dans la production, et a notamment sorti la très remarquée House of Cards, avec Kevin Spacey (photo). "Netflix va arriver en France avec ses propres séries exclusives", avertit Pascal Lechevallier, consultant média et spécialiste de la VOD.
Surtout, le site dispose d'une énorme force de frappe dans l'acquisition de séries US inédites en France. Certes, les chaînes françaises assurent avoir verrouillé les droits de leurs principales séries américaines, comme le rapporte BFM Business. Par exemple, Orange Cinéma Séries (OCS), le bouquet télé lancé par l'opérateur télécom, peut se prévaloir de son accord avec HBO, la chaîne américaine qui a produit Game of Thrones et Les Soprano.
Mais Netflix aura de quoi surenchérir. "Ils ont dépensé deux milliards de dollars dans leurs achats de droits en 2013 et comptent doubler ce montant", alerte Pascal Lechevallier. "Comment voulez-vous qu'un acteur français fasse le poids ? Il faudra miser sur la qualité, en proposant des offres éditoriales plus pertinentes". En France, on n'a pas de pétrole…
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