Le journalisme d'investigation est-il un travail d'espion ? Les deux missions ont tout cas des points commun, selon Dov Alfon, l'ancien directeur de la rédaction du quotidien israélien de gauche Haaretz, et, depuis septembre 2020, nouveau directeur de la rédaction de Libération. Il était l'invité mardi de Philippe Vandel dans Culture Médias pour raconter son passage pour le moins hors norme.
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Romancier et ancien officier du Mossad
En 1979 Dov Alfon a, comme tous les Israéliens de 18 ans, fait son service militaire. Chose plus rare, il y est engagé par Tsahal dans l'unité 8200, unité secrète de renseignements technologiques. Naissent alors progressivement sa passion pour le numérique, son engagement à gauche et pour le retrait d'Israël des territoires palestiniens occupés, ainsi qu'un projet de roman, Unité 8200, finalement publié en 2019. En 1982, Dov Alfon rejoint les manifestations contre l'intervention militaire israélienne au Liban, quitte l'armée et se lance dans le journalisme.
L'ancien officier de renseignement compare dans Culture Médias ses deux missions. "Officier de renseignement, ça ressemble beaucoup à être un directeur de journal, en ce sens que nous sommes submergés par beaucoup trop d'informations que la première chose à faire, c'est de sélectionner ce qui est important et ce qui ne l'est pas", explique-t-il. "Ensuite, il faut trouver un angle, pour le ministre de la Défense ou pour les lecteurs abonnés. Et enfin, il y a la réussite. Autrement dit, s'il y a eu une influence sur les décisions gouvernementales, ou sur le cours des choses."
Journaliste d'investigation reconnu
Dov Alfon fait son entrée à Libération en juin 2020, en tant que responsable de la stratégie numérique du quotidien. Le 16 septembre, il est nommé directeur de la rédaction avec 90,8%, succédant ainsi à Laurent Joffin qui occupait le poste depuis juin 2014. Dov Alfon devient également directeur de la publication et co-gérant de Libé, rejoignant à son poste Denis Olivennes.
Le nouveau patron du quotidien n'est pas du tout étranger au monde de la presse. En 1988, il entre à Haaretz, journal de gauche de référence en Israël. Très impliqué dans le développement de l'offre numérique du journal, qu'il quitte un temps pour d'autres projets journalistiques, il en devient rédacteur en chef en février 2008. Dov Alfon secoue l'organisation Internet du journal et le propulse dans l'ère de la presse en ligne.
Dov Alfon devient en 2016 correspondant de Haaretz à Paris. Il y co-publie notamment une série d'articles avec le journaliste d'investigation de Mediapart Fabrice Arfi, sur les liens entre le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou et l'homme d'affaires Arnaud Mimran, condamné suite à ses révélations.
Le New York Times pour modèle
Dans sa mission de relance de l'audience de Libération, Dov Alfon a un modèle : le New York Times. Il désire s'inspirer de la stratégie du quotidien américain pour développer l'offre numérique et le lectorat du journal français.
- Le New York Times a embauché beaucoup de journalistes. "Ils ont investi dans le vrai outil de travail", commente Dov Alfon, sans pour autant promettre d'embauches supplémentaires à Libération/
- Le quotidien américain a misé sur les articles longs. "Beaucoup de journaux sont tombés dans le piège des articles courts", observe le patron de Libération. "En réalité, il s'est avéré que les lecteurs sur mobile préfèrent passer plus de temps sur un article qui leur dure tout le temps de leur trajet en métro, plutôt que d'avoir à passer leur temps à chercher un nouvel article."
- Doc Alfon veut développer la complémentarité entre le journal et le site de Libération, avec une sélection d'articles très "magazine" pour le papier, et un traitement de l'ensemble de l'actualité sur le site web. Une offre de "news magazine" qui est dans l'ADN de Libération depuis sa création selon lui.
- Dov Alfon reconnaît que la hausse du nombre d'abonnements au New York Times est aussi dû à l'élection de Donald Trump, et à la volonté des lecteurs de montrer leur attachement à une presse démocratique et de qualité. "Mon job à Libération serait plus facile si Marine Le Pen" est élu, compare-t-il ainsi avec provocation. "Mais ce n'est évidemment pas ce que je souhaite."