Le stéréotype de "la marâtre" dans l'affaire Smet/Hallyday

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Le traitement médiatique du bras de fer autour du testament du rockeur renvoie une image sexiste de Laeticia Hallyday. © Montage AFP
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M.B.
Véhiculer l'image éculée de la marâtre en parlant de Laeticia Hallyday, ou le cliché d'un crêpage de chignon entre femmes, revient à perpétuer des clichés sexistes.

Elle apparaît en couverture telle qu'elle était pour l'enterrement de son mari, cachée derrière d'énormes lunettes de soleil, vêtements et vernis à ongles noir. Laeticia Hallyday fait jeudi la une du Parisien. Rien de surprenant, alors que toute la presse se régale du bras de fer qui a commencé au sein de la famille Hallyday, lundi, lorsque la fille du rockeur, Laura Smet, a annoncé via ses avocats qu'elle allait contester le testament de son père. Mais le titre choisi par le quotidien, associé à cette photo, interpelle. "Laeticia Hallyday, comment elle a pris le pouvoir", choisit d'écrire Le Parisien.

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"Est-ce la faute de Laeticia ?" se demandent les Grandes Gueules sur RMC. Tandis que sur son site, BFM TV a changé un titre d'article, passant de "Comment Laeticia Hallyday a pris le pouvoir sur l'héritage de Johnny" à "Comment Laeticia a imposé son autorité sur l'empire Hallyday". Dans l'émission "Touche Pas à Mon Poste", le journaliste Renaud Revel assure que le chanteur défunt était "sous l'emprise" de sa dernière épouse.

La figure de la marâtre.L'affaire Hallyday serait donc l'histoire d'une belle-mère vénale, autoritaire et puissante, qui désormais se battrait contre sa belle-fille. Une histoire qui, surtout, fournit à certains médias nombre d'occasions de tomber dans les clichés misogynes, explique Aude Lorriaux. La journaliste indépendante, porte-parole de Prenons la une, une association qui milite pour une juste représentation des femmes dans les médias, note ainsi que Laeticia Hallyday apparaît sous un jour peu flatteur. "La figure de la marâtre est un classique de l'antiféminisme", souligne-t-elle.

Femme vénale. "Tout cela me rappelle le traitement médiatique du divorce d'Amber Heard et Johnny Depp", poursuit Aude Lorriaux. "À l'époque [en 2016], certains médias avaient titré sur le fait qu'elle demandait le divorce après la mort de la mère de Depp, comme pour culpabiliser l'actrice. D'autres avaient fait un article sur la "face sombre d'une blonde" alors que ce qui se jouait, c'était une affaire de violences conjugales." Amber Heard avait en effet demandé le divorce en expliquant que son mari la frappait, ce qui avait été contesté jusqu'à ce que, près d'un an plus tard, des documents émanant de la justice californienne le confirment.

" L'un des principaux ressorts de l'antiféminisme, c'est de mettre les femmes en concurrence. C'est ce qui se joue derrière cette couverture médiatique. "

Crêpage de chignon. La mise en scène médiatique des relations entre Laeticia Hallyday et Laura Smet est aussi problématique. "Laura Smet est depuis longtemps, nous dit-on, confrontée à une rivalité avec sa belle-mère, Laeticia. Rappelons qu'il y a très peu de différence d'âge entre les deux femmes", a-t-on ainsi pu entendre dans Les Grandes Gueules, sur RMC. "On retrouve ce cliché de femmes qui se crêpent le chignon", note doctement Aude Lorriaux. "Or, l'un des principaux ressorts de l'antiféminisme, c'est de diviser pour mieux régner. Donc, de mettre en concurrence les femmes. Derrière cette couverture médiatique, c'est bien cela qui se joue, même inconsciemment."

Pour la journaliste, "les médias devraient pouvoir être au fait de ces stéréotypes au lieu de les recycler. Certains parlent de 'jalousie', de 'rivalité'… emploierait-on ce type de vocabulaire s'il s'était agi d'une querelle entre la belle-mère et le beau-fils ?"

Des clichés repris partout. Ces clichés véhiculés en une ou à des heures de grande écoute sont repris par tous. La page Wikipédia de Laeticia Hallyday a ainsi été modifiée plusieurs fois ces derniers jours. D'abord pour dire que c'est "une femme vénale française". Puis pour ajouter qu'elle "profite de l'héritage de son mari sans honte". Sur les réseaux sociaux, on ne compte plus les messages injurieux à l'égard de la femme du rockeur décédé.

Mieux former les journalistes. Pour Aude Lorriaux, il est donc nécessaire que "les journalistes soient mieux formés" afin d'éviter de tomber dans ces représentations archétypales qui imprègnent la société dans son ensemble. "Avec Prenons la une, nous demandons depuis longtemps à ce que des cours spécialisés soient dispensés dans les écoles de journalisme", détaille la journaliste. Une autre piste pourrait être celle explorée par le New York Times, qui a nommé une "gender editor" chargée d'écrire spécifiquement sur les sujets traitant du genre et du féminisme et d'analyser l'actualité à travers ce prisme.

Mais en attendant, "rien n'empêche de continuer de se poser les bonnes questions", souligne Aude Lorriaux. En l'occurrence : "parlerait-on de la même façon de l'affaire du testament de Johnny Hallyday si les protagonistes avaient été des hommes ?"