Personne ne l’avait vu venir : Mediapro, groupe de médias espagnol inconnu en France, a fait main basse sur les droits télé de la Ligue 1 pour la période 2020-2024. Avec 75% des lots dans sa poche, Mediapro ne laisse que des miettes à beIN Sports et Free. Mais le vrai coup de tonnerre concerne Canal+ : pour la première fois depuis sa création en 1984, la chaîne cryptée n’a remporté aucun lot et pourrait ne plus diffuser du tout la Ligue 1 dans deux ans. Une claque qui pose la question de l’avenir de Canal+.
Football : Canal+ sur la touche
Titulaire indiscutable du football à la télévision depuis plus de trente ans, Canal+ vient brusquement de se retrouver sur le banc de touche. La stratégie de Vincent Bolloré de miser un peu sur chaque lot s’est avérée perdante puisque son groupe a été battu partout. Déjà bousculé par l’entrée en jeu des Qataris de beIN Sports qui lui ont chipé la Ligue des Champions, Canal+ a été exclu du match sans avertissement par Mediapro pour la période 2020-2024. Un énorme revers pour la chaîne qui a bâti une large partie de son identité sur le foot.
Encore un espoir… Toutefois, Canal+ a encore deux chances de re-rentrer en jeu pour la Ligue 1. Première option : Mediapro crée sa proche chaîne 100% football, comme l’a demandé la Ligue de football professionnel, et choisit de la diffuser via les box et les bouquets satellite. Dans ce cas de figure, Canal+ pourrait proposer la chaîne de Mediapro dans son offre TV, comme il le fait pour beIN Sports, et garder une partie de ses abonnés fans de foot. Deuxième option : Mediapro revend une partie des droits acquis mardi à ses concurrents. Canal+ pourrait récupérer un ou plusieurs lots et donc diffuser des matches de Ligue 1, mais il faudra sans doute batailler avec beIN.
Tout en reconnaissant que Canal+ ne peut plus s’aligner sur les prix "déraisonnables" du nouvel appel d’offres, Maxime Saada, président du directoire de Canal+, invité d’Europe 1 mercredi matin, maintient qu’il est "tout à fait possible" que Canal+ reste "la chaîne du foot". "On va discuter" avec Mediapro assure-t-il. "De toute façon, ils viendront nous voir puisqu’aujourd’hui Canal+ est éditeur et distributeur de chaînes. Donc si Mediapro lance une chaîne, il n’aura pas d’autre choix que de discuter avec nous car c’est compliqué d’y arriver en France sans Canal+."
Des émissions plus vraiment iconiques
Le zéro pointé de Canal+ sur la Ligue 1 s’inscrit dans le tableau plus global du repli de la chaîne cryptée dans le PAF. Le grand ménage opéré par Vincent Bolloré dans la grille de Canal+ a laissé des traces. Exit Le Grand Journal, Le Petit Journal, Le Zapping et la case investigation, autant d’émissions iconiques qui avaient fait la renommée de la chaîne cryptée. Dernier vestige de la grande époque, Les Guignols de l’info sont passés en crypté et ont disparu du radar médiatique.
En quelques mois, Maïtena Biraben, Ali Baddou, Thomas Thouroude, Grégoire Margotton et Yann Barthès, tous des visages de Canal+, ont également quitté le groupe, tandis que Michel Denisot est moins présent qu'à l'époque du Grand Journal. Le renouvellement massif des émissions et des animateurs n’est pas passé auprès du public comme en témoignent les audiences en chute libre de la case en clair de 18h30 à 21h, passées de 5% en 2014 à 0,8% actuellement.
Les abonnés ont quitté le navire
Moins de foot, arrêt des émissions cultes, départ des animateurs : le virage brutal engagé depuis la reprise en main du groupe par Vincent Bolloré n’a pas franchement convaincu les fidèles de Canal+. Selon les derniers résultats du groupe, publiés en février, Canal+ compte désormais 5,25 millions d’abonnés, contingent en chute libre puisque la chaîne cryptée a perdu un demi-million de clients sur la seule année 2016. Certes, la baisse a été enrayée à l’automne 2017, fruit de la nouvelle grille tarifaire avec des abonnements à partir de 20 euros.
Mais si la baisse des prix a permis de stabiliser le nombre d’abonnés, elle a aussi des conséquences sur le plan financier : le chiffre d’affaires de Canal+ a baissé de 4,7% en 2016, à 5,25 milliards d’euros, une baisse plus observée depuis plus de dix ans. Dans le même temps, les bénéfices du groupe ont été divisés par deux en un an, de 454 à 240 millions d’euros, au plus bas depuis 2006 (la chaîne seule affiche des pertes de l’ordre de 130 millions d’euros). La perte de la Ligue 1 risque de noircir un peu plus le tableau. "Nous avons estimé le nombre d'abonnés qui pourraient nous quitter", a simplement commenté Maxime Saada.
Devenir un "HBO à la française" ?
Faute de pouvoir miser sur le foot à partir de 2020 (sur le sport elle conserve tout de même en propre le Top 14 et la Formule 1), Canal+ pourrait être contrainte de "se réinventer", selon les mots de Maxime Saada. "Il n’y a pas un abonné qui ne regarde que la Ligue 1. Nous avons une offre généraliste. Nos abonnés regardent essentiellement du cinéma, des séries, etc.", affirme-t-il au micro d’Europe 1. D’où l’idée déjà évoquée par le président du directoire de faire de Canal+ un "HBO à la française".
Autrement dit, miser sur les deux autres points forts de la chaîne cryptée : les créations originales (Versailles, Baron Noir, Le Bureau des Légendes, etc.) et les films diffusés avant les autres chaînes grâce au statut de premier financier du cinéma français (voir encadré). Canal+ connaît déjà un certain succès dans ces deux domaines et pourrait accélérer en redirigeant le budget alloué aujourd’hui au football (le groupe paye 550 millions d’euros par an pour les droits de la Ligue 1 jusqu’en 2020). Que ce soit avec le foot ou en se recentrant sur le cinéma et les séries, Maxime Saada reste serein : " Canal+ s’est réinventé plusieurs fois. Je suis sûr que le groupe survivra".
Le cinéma, victime collatérale ?
Canal+ est tenu de dédier 12,5% de son chiffre d’affaires dans le préachat des films français, ce qui fait du groupe le premier financier du 7ème art et lui assure la primeur de leur diffusion TV. Cela représente environ 200 millions d’euros par an. Si Canal+ ne diffuse plus la Ligue 1 et que les abonnés fuient la chaîne, cela impactera les finances du groupe. "La contribution au cinéma est indexée sur le chiffre d’affaires de Canal+", rappelle Maxime Saada, il est donc "possible" que Canal+ soit contraint de baisser ses investissements dans le cinéma français, avec des conséquences sur le nombre de films produits et les moyens alloués.