C'est un bras de fer qui se chiffre en millions d’euros. Depuis jeudi soir, 23h15, les abonnés de Canal+ n’ont plus accès aux chaînes du groupe TF1 (comme TF1, TMC, LCI, etc.). La raison de cette coupure nette du signal ? Les exigences du groupe détenu par Bouygues, qui demande depuis un an et demi aux opérateurs télécoms de lui verser davantage pour continuer à diffuser ses chaînes.
Pourquoi TF1 demande-t-il une contribution aux opérateurs ?
L’écran noir qui s’affiche sur TF1, TMC ou TFX chez les abonnés de Canal+ s’explique par la volonté du patron de TF1, Gilles Pélisson, de demander aux opérateurs de mieux rémunérer la diffusion de ses chaînes gratuites et services numériques annexes de MyTF1. Une redevance, en somme. "Pour les opérateurs qui créent des revenus grâce à ces programmes, il n’y a pas de raison que ça soit gratuit", défendait lundi Régis Ravanas, directeur général adjoint de TF1, sur Europe 1.
C’était l’objet de négociations entamées en juillet 2016, qui ont récemment abouti avec Altice-SFR et Bouygues (qui détient TF1). En revanche, les discussions ont achoppé avec trois opérateurs : Canal+, Free et Orange. Ces deux derniers groupes menacent à leur tour de "couper le signal" sur leur box. Si Orange n’a pas fixé de calendrier, Free a lancé un ultimatum d’une semaine à TF1.
Est-ce la seule chaîne à demander une contribution aux télécoms ?
Non. Mi-janvier, M6 s'est mis d'accord avec Orange, Bouygues Telecom, Canal+ et SFR (mais pas avec Free) pour que ces opérateurs rémunèrent la chaîne dont le directoire est présidée par Nicolas de Tavernost. Les montants versés par les opérateurs n'ont pas été publiés.
À combien s’élèvent les sommes demandées par TF1 ?
C’est là que les positions du diffuseur et des opérateurs divergent. TF1 demanderait "quelques centaines d’euros" par an et par abonné aux opérateurs, selon Régis Ravanas. Ce qui ne serait "pas du tout" équivalent aux chiffres évoqués lundi matin par Maxime Saada de Canal+. Sur Europe 1, ce dernier avait comparé la somme demandée à la chaîne cryptée "à un Baron Noir, à un Bureau des Légendes", de l’ordre de "20, 30, 40 millions d'euros".
TF1 demanderait 25 millions d’euros à Orange, 21 millions d’euros à Free et environ 20 millions d’euros à Canal+, croit savoir Le Figaro. Le cabinet spécialisé Mainfirst, cité par Les Échos, évoque lui un chiffre de 70 millions d’euros par an si un accord était signé avec tous les opérateurs. Dans une interview au Parisien publiée mardi soir, le PDG de la chaîne, Gilles Pélisson, a précisé que TF1 demandait "moins de 20 millions d'euros" par opérateur pour la diffusion de ses contenus, sans toutefois vouloir révéler le "montant exact" au nom du secret des affaires.
Comment le système fonctionnait-il avant ?
Avant la renégociation voulue par Gilles Pélisson lorsqu’il est arrivé à la tête de TF1, à l’automne 2015, l’ensemble des opérateurs versaient au total environ 10 millions d’euros au groupe possédé par Bouygues, principalement pour les services de replay. Aujourd’hui, TF1 demande davantage aux opérateurs, mais justifie cette hausse par des services supplémentaires proposés aux abonnés, comme le start-over (reprendre un programme au début de sa diffusion) ou la diffusion en ultra-haute définition pour les téléviseurs équipés 4K.
Que répondent les opérateurs ?
"On ne veut pas être le premier acteur à payer pour du gratuit", résumait lundi sur Europe 1 Maxime Saada, de Canal+. Selon lui, "TF1 veut le beurre et l’argent du beurre" et ne peut pas demander, selon lui, une vingtaine de millions d’euros à la chaîne cryptée. "TF1 est beaucoup trop gourmande", abondait vendredi Free, qui a diffusé, lundi soir, un message à ses abonnés qui regardaient TF1, TFX ou LCI.
Free en passe de passer à l'offensive ! et ce n'est pas un fake (00h54 sur TFX)
— Thierry M. (@ThierryM_80) 6 mars 2018
Message actuellement en surbrillance sur les chaines du @GroupeTF1 sur Freebox TV @larueofficiel@UniversFreebox@CANAL_France#boycottTf1pic.twitter.com/KmfLjjOv0l
Selon Le Parisien, le groupe de Xavier Niel et Orange auraient fait de nouvelles offres à TF1. Si celles-ci étaient refusées, le signal pourrait donc être coupé chez trois grands opérateurs télécoms.
La coupure de signal est-elle risquée pour TF1 ?
Pour TF1, voir son signal coupé dans les 5,8 millions de foyers équipés de Canal+ a eu un impact quasi-immédiat sur ses audiences. Samedi soir, The Voice a perdu un million de téléspectateurs, tandis que le 20 Heures de France 2 est passé devant celui de TF1 vendredi et samedi. "La situation n’est bonne pour personne (…) mais l’impact est assez faible", tempère Régis Ravanas.
La donne serait bien plus compliquée pour TF1 si Free et Orange (7 millions d’abonnés pour l’opérateur historique) venaient à cesser à leur tour la diffusion des chaînes du groupe. Côté TF1, on espère que dans la perspective de la Coupe du monde, qui débute dans quatre mois, les opérateurs ne vont pas oser priver leurs abonnés d’un tel événement qui sera seulement diffusé, en clair, sur TF1 et TMC.
Comment ça se passe à l’étranger ?
Pour savoir si la somme demandée par TF1 est extravagante, il faut regarder à l’étranger. "En Europe, les distributeurs participent au financement", affirme TF1 pour justifier ses demandes auprès de Canal+, Free ou Orange. La première chaîne d’Europe évoque notamment la Belgique pour expliquer ces exigences nettement revues à la hausse. Mais il aurait aussi pu parler de l’Allemagne. Là-bas, le chiffre d’affaires provenant de la distribution s’est élevé à 112 millions pour la chaîne ProSieben en 2015, et même 248 millions d’euros pour RTL Group.
Autre exemple pris par TF1 : la situation de la télévision américaine, où les télécoms versent des sommes colossales aux diffuseurs. "Aux États-Unis, il y a un partage des revenus publicitaires entre les chaînes et les opérateurs", rétorque Maxime Saada, qui déplore le fait que TF1 est la seule à bénéficier de la publicité diffusée sur ses chaînes, même diffusées sur votre décodeur Canal+, votre Freebox ou votre Livebox. Entre des négociations tendues, des accusations de contre-vérités et la perspective de nouvelles coupures, une seule chose est sûre : c’est le téléspectateur qui est pour l’instant le premier touché par ce conflit.