Montpellier va vivre la première élection municipale sans Georges Frêche depuis 35 ans. Maire de la ville entre 1977 et 2004, patron de l'agglomération entre 2001 et 2010, président du Conseil général entre 2004 et 2010… Le charismatique et controversé Georges Frêche, mort le 24 octobre 2010, a laissé une trace indélébile. Outre une statue à son effigie, une place, une avenue et un lycée à son nom, il a marqué le paysage politique local. Et son fantôme continue de hanter la gauche comme la droite.
"Le PS, mais aussi l'ensemble de la classe politique, sont complètement désarçonnés. Avant de mourir, Georges Frêche disait qu'il serait de nouveau maire en 2014. Avant, presque tous les résultats de scrutin étaient connus à l'avance et le donnaient vainqueur. Aujourd'hui, il y a un grand vide. On ne le voyait pas trop jusque là. Avec cette campagne, ce vide ressort", résume pour Europe1.fr un journaliste politique de Midi Libre, sous couvert d'anonymat.
"SON NOM APPARAÎT PARTOUT"
Ses sorties sur ces "sous-hommes" de harkis ou la "tronche pas catholique" de Laurent Fabius ont donné à Georges Frêche une "renommée" nationale et entraîné son exclusion du PS, en 2007. Depuis, la gauche locale est divisée. Pour les municipales, Jean-Pierre Moure, investi par le PS après des primaires entachées de soupçons de fraudes, doit affronter le dissident Philippe Saurel. Et ils parviennent difficilement à s'affranchir de l'ex "imperator", dont ils ont tous deux été proches collaborateurs.
Dans la campagne, le fantôme est omniprésent. "Georges Frêche est cité dans les écrits, les tracts et les meeting. Son nom apparaît partout", assume ainsi sans rougir Hussein Bourgi, patron de la Fédération socialiste locale. "La filiation avec Georges Frêche est même incarnée à travers sa fille", rajoute-t-il, faisant référence à la présence de Julie Frêche sur la liste du candidat officiel Jean-Pierre Moure. Qui y fait référence "en quasi-permanence", confirme le journaliste de Midi Libre. Mieux, Georges Frêche est cité tout le temps, "à droite et à gauche", résume cet observateur de la vie politique locale.
"METTRE FRÊCHE DANS UN PLACARD"
Si l'omniprésence de l'esprit Frêche ne fait ainsi guère de doute, tout le monde ne l'invoque pas, évidemment, de la même manière. Certes, à en croire la gauche, l'UMP elle-même en vante le bilan. "L'UMP cite en exemple des projets qu'elle a critiqué il y a 20 ans. C'est d'ailleurs très amusant pour nous. On se plaît à leur ressortir leurs anciennes critiques", ironise par exemple le patron de la Fédération socialiste. Il n'empêche, pour la droite, se débarrasser de l'ombre de l'ancien baron est devenu un objectif prioritaire.
"À l'UMP, on fait plutôt campagne en proposant de mettre Georges Frêche dans un placard et de l'oublier", estime ainsi le journaliste politique local. Contacté par Europe1.fr, Jacques Domergue renchérit. "Il y a un décalage entre l'image de Montpellier vendue par Georges Frêche et la réalité. On nous décrit une belle ville, dynamique, où il fait bon vivre. Mais c'est une ville salle où les impôts n'ont cessé d'augmenter et où les personnes âgés hésitent à sortir le soir", tacle ainsi le candidat UMP.
"LA NOSTALGIE N'EST PAS UNE POLITIQUE"
Au sein du PS, tiraillé, divisé, si l'on va au-delà des tracts et des discours de campagne, la relation avec l'ancêtre Frêche se révèle plus que compliquée. On ne trouvera personne pour cracher sur le bilan de Georges Frêche, bien au contraire. Mais de l'avis de tous les nouveaux ténors socialistes locaux, il est urgent de... passer à autre chose. "Nous sommes fiers de son bilan et on le revendique. Mais on ne parle pas d'héritage, plutôt de continuité", résume ainsi le patron de la Fédération PS.
"C'était un homme de valeur et il y a toujours un lien d'attache. Tout le monde reconnaît que sa marque a été importante pour la ville. Mais la vie continue. Le bilan de Georges Frêche inspire ce qui va se passer. Et le meilleur moyen de poursuivre son action, c'est de préparer l'avenir", poursuit Jean-Pierre Moure auprès d'Europe1.fr.
Le candidat officiel du PS ne nie pas avoir cité plusieurs fois le nom et le bilan de Georges Frêche dans sa campagne. Mais c'est surtout pour défendre sa propre action. "On a porté son message dans une ou deux grandes réunions publiques, mais dans des vidéos où j'étais à ses côtés. J'estime être bien placé pour poursuivre son action. J'ai été vice-président de l'agglomération et son remplaçant lorsqu'il était malade. J'ai débloqué plusieurs dossiers, comme la ligne 9 du tramway", argumente-t-il. Preuve de sa volonté de tourner la page : 65% des membres de sa liste n'ont pas encore eu de responsabilités politiques.
Quant au dissident PS Philippe Saurel, "il a longtemps répété : 'Frêche m'a dit que je serai le prochain maire de Montpellier'", explique le journaliste politique. "Mais c'était au début, avant qu'il ne soit dissident. Maintenant il s'en détache. Il est en train de se changer en candidat antisystème", poursuit-il. Et lorsqu'on lui pose la question, Philippe Saurel répond : "Georges Frêche a bâti Montpellier. Il a incarné le courage contre le diktat de Solferino. Je l'ai toujours soutenu et je le cite sans tabou. Mais je ne m'en revendique pas. La nostalgie n'est pas une politique".
"IL A TAILLE UN COSTUME TROP GRAND"
Ce travail d'équilibriste de tous les candidats vis-à-vis du défunt baron s'explique aussi par le contexte électoral. Car il n'est plus du tout acquis que se revendiquer de Georges Frêche fasse encore gagner des élections. "Si Georges Frêche a été élu si souvent, c'est en partie grâce au système qu'il a installé. Il faisait des promesses électorales aux représentants de toutes les communautés et ces derniers appelaient à voter pour lui", tacle carrément le candidat UMP. Et d'asséner : "ce système est un costume taillé aux dimensions d'un seul homme. Et ceux qui veulent le revendiquer nagent dans le costume".
Et il ne faut pas être fin analyste pour constater que Jean-Pierre Moure, le candidat qui se revendique le plus de Georges Frêche et présente sa fille sur sa liste, plafonne aujourd'hui à 31% des sondages, au premier tour. Pour rappel, la liste PS d'Hélène Mandroux avait fait 46% aux dernières municipales, après l'exclusion de Frêche du PS. Ce qui inspire cette conclusion au journaliste de Midi Libre : "le problème, c'est que les socialistes font campagne comme Georges Frêche. Mais il n'y a plus Georges Frêche. Et faire une campagne sans Georges Frêche si l'on n'est pas Georges Frêche, ça ne fonctionne pas".
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