Depuis 1974, le grand débat d’entre-deux-tours entre les deux finalistes de l’élection présidentielle est un passage obligé. Seul le scrutin de 2002, qui avait vu le FN Jean-Marie Le Pen accéder au second tour, a été privé d’un tel exercice. Si ces joutes verbales, parfois tendues, ne se révèlent pas forcément décisives, elles marquent tout de même les esprits. A quelques heures de la confrontation entre Nicolas Sarkozy et François Hollande, retour sur ces temps forts restés dans les mémoires.
1974 : "le monopole du coeur"
En 1974, Valéry Giscard d’Estaing et François Mitterrand inaugurent le grand débat télévisé. Mal préparé, peu à l’aise face aux caméras, le candidat socialiste est malmené par son contradicteur. Jusqu’à ce coup de grâce, asséné par le futur vainqueur de l’élection. A propos de la répartition des richesses, François Mitterrand déclare : "c'est, je dirais presque une question d'intelligence, c'est aussi une affaire de coeur". VGE riposte immédiatement : "je trouve choquant et blessant de s'arroger le monopole du coeur. Vous n'avez pas, M. Mitterrand, le monopole du coeur". La formule fait mouche, et reste dans l’histoire.
1981 : "l’homme du passif"
Sept ans plus tard, les deux hommes sont à nouveau face-à-face. Cette fois, François Mitterrand a minutieusement préparé l’affrontement. Pendant sept ans, le candidat socialiste a ruminé sa revanche. En face, Valéry Giscard d’Estaing, sûr de son fait, est surpris par son adversaire.
Le président sortant essuie ainsi plusieurs escarmouches. Le plus célèbre, la plus symbolique aussi du changement opéré chez François Mitterrand, reste cette formule de "l’homme du passif". Sept ans plus tôt, Valéry Giscard d’Estaing avait qualifié son adversaire d’"homme lié au passé par toutes (ses) fibres". Sourire en coin, François Mitterrand assène cette fois : "Vous avez tendance un peu à reprendre le refrain d'il y a sept ans : l'homme du passé. C'est quand même ennuyeux que, dans l'intervalle, vous soyez devenu l'homme du passif".
Le ton monte ensuite quand Valéry Giscard d’Estain croit piéger François Mitterrand sur le cours du Deutschemark. "Je n'aime pas vos méthodes. Je ne suis pas votre élève. Ici, vous n'êtes pas président de la République, mais mon contradicteur", rétorque le candidat socialiste. Là encore, la formule entre dans la postérité.
Enfin, lors de sa conclusion, François Mitterrand conclut son propos d’une ultime formule. "La situation de M. Giscard d’Estaing est un peu celle d’un conducteur qui vient de verser sa voiture dans le fossé, et qui viendrait me demander, pour me surveiller, de repasser mon permis de conduire", ironise-t-il. Quelques jours plus tard, le candidat devient le premier socialiste de la 5e République à accéder à l’investiture suprême.
1988 : "Vous avez tout à fait raison, M. le Premier ministre"
L’édition de1988 se révèle particulièrement tendue. Entre un président sortant serein, François Mitterrand, et un challenger nerveux, Jacques Chirac, la balance penche rapidement du côté du premier. D’emblée, le candidat de la gauche déstabilise son adversaire, alors Premier ministre en place et soucieux, hiérarchie oblige, de départir son adversaire de sa posture présidentielle. "Ce soir, vous n'êtes pas le président de la République, nous sommes deux candidats à égalité (...), vous me permettrez donc de vous appeler monsieur Mitterrand", lance ainsi Jacques Chirac. "Mais vous avez tout à fait raison, monsieur le Premier ministre", répond, sourire aux lèvres, François Mitterrand.
L’autre fait marquant de ce débat concerne le cas du diplomate iranien Wahid Gordji impliqué dans un litige entre Paris et Téhéran. "Pouvez-vous vraiment contester ma version des choses en me regardant dans les yeux ?", lance Jacques Chirac. La réponse de François Mitterrand est cinglante : "dans les yeux, je la conteste".
(A 4’35’’)
1995 : "Il vaut mieux cinq ans avec Jospin que sept ans avec Chirac"
Le débat entre Jacques Chirac et Lionel Jospin se révèle feutré, voire ennuyeux. "Je n'ai aucun antagonisme à l'égard de Jacques Chirac, sauf ce qui peut nous séparer : des convictions ou des conceptions", dit le candidat PS. "Je voudrais dire à M. Jospin que je suis dans le même état d'esprit, naturellement", répond le candidat néogaulliste. Tout est dit.
Seule une petite phrase ressort du lot. Sur le quinquennat, que Lionel Jospin défend, le candidat lance : "il vaut mieux cinq ans avec Jospin que sept ans avec Chirac". Nullement désarmé, le candidat RPR rit de bon cœur. Et l’emporte quelques jours plus tard
2002 : Pas de débat
Jean-Marie Le Pen qualifié pour le second tour, Jacques Chirac refuse de l’affronter dans un débat. "Pas plus que je n'ai accepté dans le passé d'alliances avec le Front national, et ceci quel qu'en soit le prix politique, je n'accepterai demain de débat avec son représentant", déclare le président sortant lors d'une réunion publique. "C'est le peuple qui est insulté par Jacques Chirac et ses alliés socialo-communistes", riposte le président du FN. "C'est une atteinte inacceptable aux règles républicaines et démocratiques. C'est une pitoyable dérobade".
2007 : "Calmez-vous"
A la peine dans les sondages, Ségolène Royal mise beaucoup sur le débat, et s’y montre particulièrement pugnace. En face, Nicolas Sarkozy, sûr de sa victoire, reste serein. L'affrontement culmine sur un sujet inattendu, celui des handicapés, quand la candidate socialiste accuse son adversaire d'avoir atteint "le summum de l'immoralité politique". "Calmez-vous et ne me montrez pas du doigt avec cet index pointé", lance Nicolas Sarkozy. "Non, je ne me calmerai pas!", répond-elle. "Pour être président de la République, il faut être calme", reprend le candidat de l'UMP. "Non pas quand il y a des injustices. Il y a des colères saines parce qu'elles correspondent à la souffrance des gens. Il y a des colères que j'aurai même quand je serai présidente de la République", poursuit-elle.
2012 : quelle petite phrase ?
Nul doute que Nicolas Sarkozy et François Hollande ont préparé avec soin leur face-à-face. Le candidat socialiste pointera sans doute le bilan du président sortant, qui ciblera lui la personnalité et le manque de stature supposée de son adversaire. Chacun cherchera en tous cas à glisser la petite phrase qui, à défaut de faire basculer l’élection, restera dans l’histoire.