"C'est un virage, c'est la confirmation de la mort du Front républicain", triomphait Marine Le Pen, en octobre dernier, après la victoire du candidat FN à la cantonale partielle de Brignoles, contre un candidat UMP soutenu par toute la gauche. Mais n'en déplaise à la patronne du Front national, Jean-Marc Ayrault a défendu un "Front républicain" bien vivant, avant les municipales des 23 et 30 mars prochain. "Les républicains devraient tout faire pour qu'il n'y ait aucune possibilité qu'il y ait un maire Front national dans une commune de France", a plaidé le chef du gouvernement, jeudi sur Radio J.
"Au soir du premier tour, les socialistes diront, et je serai le premier à le dire : il faut tout faire pour empêcher l'élection d'un maire Front national", a insisté le Premier ministre. Sinon, "c'est un échec pour la République, parce qu'on sait bien que le Front national se développe sur le désarroi et les peurs, mais il n'apporte aucune solution", argue-t-il, dénonçant "la gabegie" à l'œuvre à Toulon ou Vitrolles, lorsque le FN y était au pouvoir.
>>> Mais qu'est-ce exactement que le "Front républicain" ? D'où vient-il ? Est-il encore vivant ?
La naissance…. Le premier "Front républicain" est né avant même le Front national, crée, lui, en 1972. Il a été inauguré juste avant les législatives de 1956 pour trouver une issue à la guerre d'Algérie : le but est alors de contrer le mouvement de Pierre Poujade, l'Union de défense des commerçants et artisans (UDCA). Autour de Pierre Mendès France, leader du Parti radical, se constitue un "front" qui regroupe Guy Mollet (SFIO, futur PS), François Mitterrand (alors à l'UDSR) et Jacques Chaban-Delmas, figure du gaullisme. La formule est trouvée à la va-vite par le journaliste Jean-Jacques Servan Schreiber, fondateur de L'Express, au lendemain de l'annonce de la dissolution de la Chambre par le président du conseil Edgar Faure début décembre 1955.
… Et une première mort. Aux élections du 2 janvier 1956, les listes sous l'étiquette "Front républicain" obtiendront quelque 30% des voix et 185 sièges à l'Assemblée. Mais ce succès est assombri par le brutal surgissement du mouvement de Poujade, qui conquiert 52 sièges du Parlement. Les divers membres du "Front" vont se diviser et rapidement, il finira par ne plus se résumer qu'à la seule SFIO, avant de mourir avec l'enlisement du conflit algérien et le retour du général de Gaulle.
Une version moderne… La formule est toutefois restée et désigne depuis l’union de tous les partis face à l'extrême droite, accusée d'être populiste, xénophobe, antidémocratique et, donc, antirépublicaine. Ce "Front républicain" version moderne a connu des beaux jours, lors des percées électorales du Front national, notamment pendant les élections municipales de 1995 et surtout lors du second tour de la présidentielle de 2002, opposant Jacques Chirac à Jean-Marie Le Pen.
… Qui a du plomb dans l'aile... Mais le 21 mars 2011, le "Front républicain" a pris un nouveau coup (presque) fatal. Au lendemain du premier tour des élections cantonales, Nicolas Sarkozy reçoit à l'Elysée les principaux responsables de la majorité UMP de l'époque. Et sa requête est claire : il faut mettre fin à cette idée d'alliance systématique avec la gauche face au FN. La stratégie du "ni FN-ni PS", déjà adoptée par certains cadres, venait de naitre officiellement.
Par la suite, de nombreux cadres de l'UMP (Jean-François Copé, Alain Juppé ou encore François Fillon) remettront en cause le "Front républicain", au prétexte que le PS ne se prive pas de s'allier, lui, avec l'extrême gauche. Et que le parti de Marine le Pen semble s'éloigner des extrêmes. "Marine Le Pen est compatible avec la République", déclare ainsi Nicolas Sarkozy, le 24 avril 2012. "Il peut arriver" qu'un socialiste soit "plus sectaire" qu'un frontiste, lâche même François Fillon en septembre 2013, sur Europe1.
Fillon : "Votez pour le moins sectaire"par Europe1fr… même à gauche. Dans les rangs du PS, des voix s'élèvent aussi contre ces appels aux alliances avec l'UMP. "Moi je pense qu’il faut qu’on ait une véritable réflexion sur le Front républicain, notamment sur son automaticité. Car lorsque vous avez des candidats de droite qui portent le même discours que l’extrême droite, je pense qu’il faut se permettre d’avoir non seulement le débat, mais aussi de dire que ce n’est pas automatique", martelait le député Razzy Hammadi, en juin dernier, sur BFMTV. Dans un communiqué, le député PS Yann Galut a également récemment appelé le PS à repenser l’automatisme de l’appel au front républicain. Il ne saurait en effet donner de consignes de votes de front républicain contre le Front national là où les candidats de l’UMP reprennent eux-mêmes les thèses que nous combattons".
Mais est-ce que ça marche, le "Front républicain" ? Outre les arguments avancés par l'UMP et le PS, si le "Front républicain" séduit moins, c'est aussi parce qu'il n'est plus forcément si efficace que ça. Certes, en 2002, Jacques Chirac avait obtenu le score record de 82% des voix, lors du second tour de la présidentielle. Mais récemment, ce "Front" là a essuyé quelques déceptions. À Brignoles d'abord, lors la victoire du frontiste Laurent Lopez lors de la cantonale partielle d'octobre. Mais aussi lors des législatives, dans la deuxième circonscription de l'Oise et à Villeneuve-sur-Lot, dans le Haute-Garonne. Dans les deux cas, un député UMP a, certes, été élu. Mais de très peu. Et malgré l'appel du PS à faire barrage aux candidats FN, ces derniers ont, chacun, gagné entre 7.000 et 13.000 voix entre les deux tours.
Pour autant, à l'image de Jean-Marc Ayrault, plusieurs personnalités politiques continuent à défendre fermement le "Front républicain". "Le soir du premier tour, je ne me tromperai pas. Je fais la différence, et je l'ai toujours faite, entre un élu du FN et un élu démocratique. Nous regarderons ville par ville pour faire en sorte qu'aucun élu du FN ne soit en situation d'être maire", a défendu le socialiste Bruno Le Roux, jeudi sur France 2.
"L'UDI respectera le 'Front républicain' face au FN. Au sortir du premier tour, l’UDI va d’abord mettre une frontière infranchissable avec le FN", a également promis mercredi Yves Jego, qui assure l'intérim de Jean-Louis Borloo, convalescent, à la tête de la formation de centre-droit. Et même à l'UMP, quelques cadres (Nathalie Kosciusko-Morizet, Valérie Pécresse, Jean-Pierre Raffarin…) soutiennent encore le "Front" anti-FN. Même s'il a du (lourd) plomb dans l'aile, le vieux "Front républicain" a la tête dure.
BILAN - Quand le FN gérait (mal) ses communes
LA PHRASE - Ayrault ne veut aucun maire FN
Villeneuve-sur-Lot : la fin du front républicain ?
L'UMP dit non au front républicain
Fillon et le FN, une opposition à géométrie variable