Il s'annonçait décisif. Le débat d'entre-deux-tours de la primaire de la gauche n'aura pas déçu. Preuve, s'il en était encore besoin, que la formule de la joute télévisuelle fonctionne bien mieux à deux qu'à sept participants, le grand oral de mercredi soir a permis des débats de fond, détaillés. Si la "clarification" appelée de ses vœux par Manuel Valls avant l'événement a bien eu lieu, l'ancien Premier ministre et Benoît Hamon ont eu le bon goût de ne pas tomber dans l'invective –alors que certaines attaques dans les médias les jours précédents le laissaient craindre. Au final, par un savant jeu d'initiative et de surprise, c'est tout de même l'ancien ministre de l'Éducation qui s'est montré le plus convaincant.
Des divergences profondes. Les deux candidats sont apparus très bien préparés, à l'aise sur leurs dossiers. Les premiers échanges, qui tournaient autour du travail, ont ainsi permis de mettre en lumière leurs divergences, profondes et nombreuses, sur leur vision même de la société. Quand Benoît Hamon envisage une raréfaction des emplois et estime qu'il est donc nécessaire de repenser le temps de travail, Manuel Valls lui répond mutation des métiers et lui reproche d'abdiquer face au chômage. Complètement opposés sur la question du revenu universel, défendu par l'ancien ministre de l'Éducation et vigoureusement contesté par son ancien Premier ministre, les deux hommes se sont néanmoins rejoints sur la nécessité de proposer des choses nouvelles. "Je pense que nous devons faire preuve d'imagination et je ne reprocherai jamais à Benoît Hamon de réfléchir, d'ouvrir des champs", a ainsi reconnu Manuel Valls.
Valls le "présidentiable". Les deux hommes ont joué sur le créneau qui, jusqu'ici, leur a porté chance. Manuel Valls a misé encore et toujours la carte du sérieux et de la stature présidentielle. "Il ne s'agit pas de faire rêver, il s'agit de crédibilité", a-t-il ainsi lancé, estimant que "tout ce que propose [son adversaire] n'est pas possible sans augmentation des impôts, de la CSG ou du déficit et des dettes". Très ferme sur la question de la laïcité, qui "n'est pas un glaive mais un bouclier", l'ancien Premier ministre a aussi attaqué son concurrent sur la prorogation de l'état d'urgence, que Benoît Hamon n'a pas votée, et sur sa désolidarisation du gouvernement pour rejoindre les rangs des frondeurs. Et a rencontré, à chaque fois, une bonne ligne de défense bien préparée, petites punchlines à l'appui.
Hamon sur la défensive.Benoît Hamon ne dit pas la "vérité" aux Français ? "Moi, je ne suis pas détenteur d'une quelconque vérité, et toi non plus", rétorque l'ancien ministre de l'Éducation. Il n'a pas voté la prorogation de l'État d'urgence, alors qu'il est candidat à la présidence de la République ? "Quand on est candidat à la présidence de la République, on écoute les avis des plus hautes juridictions de l'État français, qui ont dit que l'état d'urgence ne doit pas devenir permanent", réplique Benoît Hamon. Manuel Valls souligne que lui a "toujours respecté les règles", contrairement à celui qui est allé rejoindre la fronde contre le gouvernement ? "Respecter les règles, c'est commencer par respecter les programmes sur lesquels on est élus."
L'homme du "futur désirable". Au-delà des belles répliques, Benoît Hamon s'est positionné comme l'homme apte à faire rêver la gauche, celui qui "propose un futur désirable, un imaginaire collectif puissant". Cela l'a conduit à louvoyer parfois, notamment sur les questions de dette ou de financement de son revenu universel, dont seule la première étape –au coût estimé à 45 milliards d'euros– a été clairement détaillée. Ou comme lorsqu'il s'est gardé de répondre à Manuel Valls, qui évoquait une rencontre entre son porte-parole, Alexis Bachelay, et le Collectif contre l'islamophobie en France (CCIF). Mais l'ancien ministre de l'Éducation a pour lui une autre vision de l'économie, qui se détache des chiffres pour envisager les comportements. "Les choix d'investir doivent être mesurés à travers leurs conséquences positives", a-t-il expliqué, prenant l'exemple de ce revenu universel qui coûte de l'argent mais doit permettre aussi de booster la consommation des jeunes et des plus pauvres. Et sur la laïcité, il s'est posé en légitimiste, citant…François Hollande lui-même.
Chacun a mis de l'eau dans son vin. Chacun a par ailleurs tenté de récupérer chez l'autre quelques éléments qui lui manquaient peut-être. C'est ainsi que Manuel Valls a pris soin d'accoler la notion d'"espoir" à celle, sacro-sainte dans ses discours, de "responsabilité". "Je veux faire appel au cœur et à la raison", a ajouté celui qui a eu tendance à privilégier la seconde pendant sa campagne. De son côté, Benoît Hamon a profité de sa conclusion pour rappeler qu'il avait la carrure nécessaire pour assumer les plus hautes fonctions. "J'ai le caractère pour accomplir cette tâche", a lancé ce partisan d'une gauche "robuste, sincère, authentique" incarnée par "des hommes et des femmes aux idées, aux valeurs claires".
Avantage à celui que l'on attendait moins. Si les deux candidats se sont montrés solides, c'est néanmoins Benoît Hamon qui s'en sort vainqueur. D'abord par le simple jeu des dynamiques. Si les deux concurrents sont ex-aequo, c'est de facto celui qui est sorti nettement en tête du premier tour qui s'en trouve avantagé. Ensuite, parce que ce sont encore une fois les propositions de l'ancien ministre de l'Éducation nationale qui ont animé le débat, son concurrent devant souvent se positionner pour ou contre. Enfin, grâce à l'effet de surprise. De Manuel Valls, qui a déjà une participation à la primaire de 2011 à son actif, qui est resté plus de deux ans à Matignon et a eu le temps de se tailler un costume de présidentiable, cette prestation était attendue. Benoît Hamon, qui n'a été "que" ministre délégué à la Consommation avant de faire un passage éclair –et souvent raillé– à l'Éducation nationale, a souvent été sous-estimé par ses adversaires. Ferme sur ses intentions, précis sur ses dossiers, souvent piquant, il a eu l'occasion de faire taire ceux qui ne le pensaient pas à la hauteur de l'enjeu.