Ils l'avaient dit et répété avant le début de l'examen en séance publique du projet de loi asile et immigration : la dizaine de députés LREM en désaccord avec le texte ne veut absolument pas mener de "fronde". Pourtant, depuis des mois, le malaise couvait au sein de la majorité. En dépit d'interminables réunions entre le ministère de l'Intérieur et les plus dubitatifs, il subsistait des divergences. Mais au vu des quatre premières demi-journées de débat en séance publique, force est de constater qu'en effet, aucune déstabilisation de la majorité n'est à l'œuvre. Les désaccords internes s'expriment, sans tourner à l'affrontement. Une tenue qui ne relève pas uniquement de l'auto-discipline, mais aussi des pressions internes et des manœuvres de l'opposition.
Jean-Michel Clément en première ligne. Certes, plusieurs députés LREM défendent ouvertement des inflexions du projet de loi. Mardi, sept marcheurs et six MoDem ont voté un premier amendement déposé par Jean-Michel Clément, l'un des élus de la majorité les plus virulents à l'égard du texte. Et ce, alors que cette proposition (visant à faciliter l'accès à la protection de l'asile pour les conjoints de réfugiés) avait reçu un avis défavorable de la rapporteure, Elise Fajgeles, et du gouvernement. Un peu plus tard dans la journée, ils ont été 14 LREM et 11 MoDem à faire de même, toujours sur un amendement similaire défendu par Jean-Michel Clément.
Mercredi, c'est la voix dissonante de l'élue des Alpes-Maritimes Alexandra Valetta-Ardisson qui s'est fait entendre. Cette transfuge de LR a, elle, pourfendu un article de la loi en reprenant les arguments de son ancienne famille politique, arguant que cela créerait un "appel d'air" pour les migrants. Rebelote jeudi avec un amendement de la Savoyarde Typhanie Degois, qui aurait voulu prendre en compte une condamnation d'un autre Etat membre de l'Union européenne pour refuser ou retirer un titre de séjour à un migrant. Soutenu par LR et le FN, l'amendement a reçu un avis défavorable du gouvernement et a finalement été rejeté.
"Tout sauf un début de fronde". Les prises de parole pour exprimer des points de vue divergents sont donc bien là, mais pas question de chahuter la majorité pour autant. Plusieurs amendements non approuvés par le groupe ont d'ailleurs été retirés par leurs auteurs. En annonçant qu'ils n'allaient pas voter le projet de loi, les marcheurs les plus remontés avaient déjà déminé le terrain. "C'est tout sauf un début de fronde", affirmait Matthieu Orphelin. "Une attitude de défiance mettant en difficulté le groupe ne serait pas entendable", abondait Stella Dupont. Une ligne de conduite scrupuleusement suivie cette semaine avec l'examen en séance. Mis à part Jean-Michel Clément, rares étaient les marcheurs sceptiques à s'aventurer devant les caméras des journalistes. Il faut dire que, pour eux, la partie à jouer n'est pas simple.
Pressions. D'abord parce que le discours du chef du groupe LREM, Richard Ferrand, s'est considérablement durci, après avoir joué l'indifférence et la sérénité. "Le débat est libre, mais il ne s'agit pas de faire battre des ministres", prévenait Richard Ferrand la semaine dernière. "Quand on n'a pas réussi à convaincre en réunion de groupe, on n'a pas réussi… Sinon, on devient auto-entrepreneur, c'est-à-dire non inscrit." Le ministre chargé des Relations avec le Parlement, Christophe Castaner, jugeait quant à lui que les récalcitrants "manqueraient de solidarité" s'ils ne votaient pas. "Je travaille et je m'engage, je préférerais recevoir des sourires plutôt que des reproches", bougonne en réponse Jean-Michel Clément. Selon Ugo Bernalicis, député La France Insoumise, la pression est palpable. "Un coup ils disent qu'ils votent contre, un coup ils s'abstiennent… L'ambiance de discussion au sein de leur propre majorité est telle que certains craignent qu'on redécoupe leur circonscription. Le vieux monde est toujours là, il n'est jamais parti."
L'opposition à la manœuvre. Cette démonstration d'autorité de la part de Richard Ferrand fait constamment réagir l'opposition en séance. "Chez nous, contrairement à chez vous, personne n'est menacé d'exclusion parce qu'il exprime des positions différentes", raille ainsi le Républicain Fabien Di Filippo. "Quand vous aurez un fonctionnement aussi démocratique que le nôtre…" Le frontiste Sébastien Chenu, lui, se fait un malin plaisir d'interpeller le "caporal" Ferrand.
Le rôle de l'opposition est ici décisif. Les députés LREM tentés d'aller à contre-courant le savent : ils sont perpétuellement scrutés par des collègues peu amènes. Sur tous les amendements où LREM n'avance pas de concert, les autres groupes se précipitent pour demander des scrutins publics afin de mettre en exergue leurs divisions. Des manœuvres on ne peut plus classiques, mais qui peuvent doucher certaines ardeurs frondeuses. "Certains vont se retrouver auto-entrepreneur", ironise le député LR Pierre-Henri Dumont.
Un amendement est déposé par quelques députés LREM. Il n'est soutenu ni par la rapporteure LREM du texte ni par le gouvernement : @phdumont (LR) ironise sur les dissensions au sein de la majorité.
— LCP (@LCP) 17 avril 2018
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La majorité renforcée par le positionnement politique de LR. Par ailleurs, le positionnement politique même de la droite a tendance à faciliter la cohésion de LREM. Alors que Laurent Wauquiez, le président des Républicains, a formulé mercredi matin des propositions très droitières sur l'immigration et que, dans l'hémicycle, les députés LR et FN sont souvent sur la même longueur d'onde, les marcheurs n'ont pas de mal à faire bloc. Et ceux d'entre eux qui ne comptent pas voter le texte, à l'image de Sonia Krimi ou Sandrine Mörch, avaient passé l'essentiel de leur temps, jeudi midi, à attaquer la droite plutôt qu'à contester leur propre famille politique. D'autant que les trois premiers articles, les seuls examinés à la mi-journée, jeudi, au cours d'un débat qui s'embourbe dans les invectives et les appels au règlement, sont ceux qui élargissent les protections et renforcent l'intégration des demandeurs d'asile. Pas ceux, donc, qui font le plus polémique au sein de LREM.
Un calendrier serré pour minimiser la fronde. La gestion du calendrier des débats est d'ailleurs utilisée, selon l'opposition, pour masquer tout début de fronde. Notamment parce qu'en raison du début des vacances parlementaires, la semaine prochaine, aucun vote solennel n'est prévu. Il n'y aura donc qu'un scrutin public dans la foulée de l'examen. Au vu du temps que prend celui-ci (à 15 heures jeudi, l'article 4 était toujours débattu et le projet de loi en contient 41), il devrait s'achever vers 4 heures du matin dans la nuit de vendredi à samedi. Pas le moment où l'hémicycle sera le plus rempli et où les votes contre ou les abstentions de députés LREM pourront être scrutés. "Ce n'est pas plus mal pour eux que ça se passe la nuit et qu'on ne voit pas trop ceux qui, de toute façon, avaient prévu de ne pas être là pour s'abstenir", enrage Ugo Bernalicis. Députés de droite comme de gauche ont inlassablement exigé que soit réunie la conférence des présidents afin de revoir le calendrier parlementaire. Jusqu'ici, ces demandes sont restées lettre morte.