Il y a un an, l’Élysée annonçait officiellement la déclassification de ses archives sur le génocide au Rwanda, où près d’un million de Tutsis (et d’opposants Hutus) ont trouvé la mort, massacrés, en 1994. Sauf que depuis, l’ancienne ministre déléguée à la Famille Dominique Bertinotti, désormais responsable des archives Mitterrand, se refuse à ouvrir ces documents. Elle s’en explique sur Europe 1.
Il y a des documents qui ont été déclassifiés. On peut penser que tout le monde peut y accéder. Ce n'est pas le cas. Pourquoi refusez-vous ?
Ça ne se passe pas comme ça. Tout le fonds François Mitterrand est inconsultable, comme toutes les archives des présidents de la République... Ce que François Mitterrand a souhaité c'est que, pour ne pas attendre le délai de 60 ans qui lève cette interdiction, il y ait un protocole signé avec les Archives nationales pour autoriser des dérogations. Dans le cadre de ces dérogations, nous sommes deux à intervenir : les Archives nationales d'une part, et moi d'autre part. Des chercheurs nous font des demandes que nous accordons totalement, partiellement ou que nous n'accordons pas.
Pourquoi, dans le cas des archives du Rwanda, refusez-vous d'ouvrir ces dossiers?
Il n'est pas refusé de tout ouvrir. On peut considérer que ça pourrait être plus, mais il n'y a pas de refus systématique. Il faut aussi savoir que ces archives - qui sont des archives d'Etat, des archives de collaborateurs de François Mitterrand - ne sont pas des archives faites pour alimenter des polémiques, mais pour contribuer au travail scientifique.
Donc, sur 100% des cas, ce sont des chercheurs, le plus souvent historiens - Français ou étrangers -, qui demandent à consulter des documents. Dans 90% des cas, ils ont un accord total ou partiel. Il y a une demande qui n'est pas satisfaite, mais ça peut évoluer dans le temps. Il y a une nécessité de respecter la loi sur les archives, de respecter le protocole. Et que ce soit les Archives nationales ou moi-même, nous n'agissons que dans le cadre de la loi.
Mais vous ? Quelle est la raison de votre refus?
C'est un examen au cas par cas. Il y a des principes sur la nature du travail qui nécessite la consultation des archives, notamment sur le fait qu'il faut retirer tellement de documents des cartons que ce sont des cartons très expurgés. Il faut aussi que tous ceux qui sont détenteurs [de documents relatifs au Rwanda], c'est-à-dire le ministère des Affaires étrangères, le ministère de la Défense, les ministres concernés... acceptent également d'ouvrir leurs archives. Car c'est bien la confrontation des positions des uns et des autres qui permettra de dire quelles sont les responsabilités des uns et des autres.
Vous dites par écrit, dans vos refus d'accéder aux documents, que "cela peut porter atteinte aux intérêts protégés par la loi". Quels sont ces intérêts ?
C'est une formule juridique utilisée par les Archives nationales et que l'on reprend lorsqu'on estime que les dossiers ne peuvent pas être ouverts.
Mais cela ne peut-il pas donner le sentiment que c'est une décision arbitraire?
Mais non ! François Mitterrand n'a pas souhaité que ses archives soient inconsultables. Moi, j'attends que tous les présidents qui ne sont plus en exercice aient la même démarche. Il a souhaité que ça puisse être ouvert, au cas-par-cas, d'où l'existence d'un protocole. La transparence, ce n'est pas une sorte de tout ou rien. C'est une évolution. La déclassification, c'est une progression. L'ouverture des autres archives sera aussi un progrès. C'est destiné à évoluer dans le temps.
Vous dites que "les archives ne sont pas faites pour alimenter une polémique". Est-ce polémique ce qu'il y a dans ces documents?
Non. La polémique naît quand vous arrivez face à des archives et que vous savez déjà ce que vous allez écrire alors que vous n'avez pas encore jeté un coup d'œil. C'est la grande différence entre le travail scientifique et le travail de polémiste. Ce sont deux choses différentes. Et les archives d'Etat ne sont pas faites pour alimenter les polémiques.
Et le fait de répondre cela n'alimente-t-il pas la suspicion sur le rôle réel ou supposé de la France dans le génocide rwandais?
C'est le principe de la bouteille à moitié vide et à moitié pleine. Si vous regardez la bouteille à moitié vide, vous dites : ‘Ah mais tout n'est pas ouvert!’ Sauf que c'est un énorme progrès que des choses s'ouvrent.
Mais là, elles ne s'ouvrent pas!
Les choses se font au fur et à mesure.
Mais il y a des excuses un peu absurdes. Exemple : quand un document se trouve dans un dossier où seule une feuille est sous le sceau du secret, impossible d'ouvrir le dossier...
Ca a évolué. Oui, c'était absurde. Mais je n'y suis pour rien dans la façon dont les Archives nationales classent leurs documents. Il y a eu des efforts faits par les équipes des Archives nationales, qui ont accepté de retirer certains documents avant de les remettre à leur place. Mais quand vous avez des cartons dans lesquels vous avez 25, 30 ou 40 documents à enlever, ça se fait au cas par cas.
Avez-vous consulté ces archives sur le Rwanda?
Je me refuse à le faire. Tout simplement pour ne pas avoir mon regard d'historienne ou de citoyenne. Je connais le fonds d'archives dans sa globalité : comment il est structuré, de quoi il est fait... Je fais cela avec l'exigence de respecter à la fois le code du Patrimoine et le code des Archives.