On n’en retient souvent que quelques phrases, parfois des passages entiers. Des mots qui résonnent plus que d’autres, destinés à marquer un public et des points dans les sondages. C’est qu’un discours bien construit ne s’improvise pas, et que les cinq principaux candidats à la présidentielle ont chacun leurs habitudes pour les penser, les écrire ou les faire rédiger.
Jean-Luc Mélenchon, des schémas au service du tribun. Le leader de la France insoumise a une manière particulière d’écrire ses discours. "À partir des notes qui lui sont fournies par les équipes de campagne, il griffonne. Et sur ses feuilles, on peut voir des labyrinthes et des flèches", relate Alexis Corbière, un de ses proches. "C’est incompréhensible. Il y a des schémas partout, un peu comme une carte mentale", confirme Leila Chaibi, qui lui a fourni plusieurs notes sur le logement, dont une avant un discours à la Fondation Abbé-Pierre, en janvier : "Son intervention avait lieu l’après-midi, il est venu le matin et on l’a briefé à midi. Il écoute et note sur son calepin. Pendant ce temps-là, il est concentré, comme dans une bulle."
Loin de l’image de l’orateur détendu et volontiers familier avec son public qui peut s’éloigner des notes et, parfois, perdre un peu le fil de son propos pour terminer ses discours bien au-delà de l'heure habituelle. Comme à Rennes, dimanche dernier, avec une tribune de près de deux heures : "Je n’ai pas tout dit sur les PME… Tant pis, ce sera assez pour aujourd’hui !", se rend-il compte en lisant une de ses fiches, après une demi-heure de digression sur le Smic, les délocalisations et sa récente visite dans une grande enseigne de restauration rapide. Côté rédacteurs, "il aime bien travailler seul", confie Alexis Corbière, qui lui connait un besoin de "soigner les transitions entre les parties" de ses discours. Mais il reçoit aussi les contributions de Charlotte Girard, qui a élaboré une partie du programme, ou de Jacques Généreux, économiste. Le tout est agencé par Jean-Luc Mélenchon lui-même, "souvent à son domicile", précise Alexis Corbière.
Benoît Hamon, une plume de 24 ans au quotidien. Un discours de Benoît Hamon a marqué cette campagne présidentielle : celui de Bercy, mi-mars, son premier grand meeting. Un texte crucial, longuement préparé par plusieurs membres de son équipe en amont. Mariannerévèle qu’il a été élaboré par le socialiste et normalien Mehdi Ouraoui, proche de Harlem Désir, avec le concours de l’essayiste Raphaël Glucksmann, du socialiste aquitain Stéphane Delpeyrat et du co-directeur de campagne Jean-Marc Germain.
Pourtant, dans la plupart de ses interventions, Benoît Hamon reste fidèle à Hadrien Bureau pour la rédaction de ses discours, lui qui accompagne le socialiste depuis plusieurs années et construit chaque discours avec le candidat PS, comme l’indique Libération: Benoît Hamon liste ses demandes diverses au normalien de 24 ans, qui écrit un premier jet, révisé par les proches du chantre d’un "futur désirable", avant un retour dans les mains de Hadrien Bureau. Lequel termine la rédaction du discours et le transmet au candidat, qui le relit une dernière fois avec un verre de vin blanc, en loge, quelques minutes avant sa prise de parole, que le candidat fait souvent durer plus d'une heure et demie, à force de digressions.
Emmanuel Macron, une touche personnelle sur une base collective. Celui qui cite à l’envi René Char, Bernanos ou Émile Zola lors de ses discours prend un soin particulier à travailler ses références. Elles sont personnelles, affirme-t-on dans son équipe, car l’ancien ministre de l’Économie refuse de se servir des citations qu’il ne connaît pas. Tout démarre en tout cas par l’envoi à l’ancien ministre d’une matière technique composé de chiffres et de notes détaillées, structurées autour d’un plan par les plumes qui travaillaient déjà pour lui à Bercy, comme Ismaël Émélien, David Amiel ou Quentin Lafay. Viennent ensuite la relecture et l’enrichissement, opérés par de nombreux proches, élus ou intellectuels. Le texte circule et remonte ensuite, annoté, par ses jeunes conseillers. Ses demandes : des phrases courtes et peu de lyrisme dans le verbe. Ce qui n'empêche pas ses discours de durer plus d'une heure dans la plupart des cas.
Résultat : le candidat d’En marche ! dispose d’une base sur laquelle il brode et rajoute ses références littéraires, avec des modifications essentiellement apportées au stylo, la veille, ou dans le train, le matin de ses meetings. Ce sont ces corrections qui occasionnent parfois un recadrage en règle, comme lorsqu’il reproche à son équipe un discours "avec des phrases longues pour expliquer qu’on ne peut rien faire" ou "qu'il n’y a rien à en tirer", dans un moment saisi par l’émission Quotidien. Emmanuel Macron parvient alors à un texte plus personnel, riche en anecdotes, dit-on à son QG, après avoir "fait son miel" des apports d’un "travail éminemment collectif". Ce qui lui permet de prendre des libertés avec son discours, comme lors de son désormais fameux discours de Versailles, en décembre, où il avait terminé sa prestation en criant, très loin du texte initial.
François Fillon, fidèle à ses plumes historiques. Le tandem oeuvre en coulisses depuis bien longtemps, avant même que leur ami ne passe un quinquennat à Matignon. Igor Mitrofanoff et Jean de Boishue sont les deux plumes attitrées de François Fillon, sans que la routine, décrite par Le Figaro, ne varie : les deux compères se retrouvent dans un restaurant près de l’Assemblée nationale, où ils ébauchent les formules et les enchaînements qui serviront de trame au texte final. S’en suit une étroite communication entre le candidat LR et le duo (surtout Igor Mitrofanoff) qui fait partie de ses très proches avec Anne Méaux (communication) et Éric Chomaudon (conseiller politique).
Personnage réservé, François Fillon passe beaucoup de temps à corriger et peaufiner ses textes avant ses meetings, parfois jusqu’au dernier moment. En découlent certaines phrases marquantes, comme la référence à de Gaulle mis en examen, prononcée lors de son discours de rentrée à Sablé-sur-Sarthe, en août dernier. Un texte mûri tout l’été avec Igor Mitrofanoff pour relancer une campagne difficile et inexistante dans les médias. François Fillon joue alors l’attaque et emploie des expressions très offensives, un ton qu’il reprendra une fois empêtré dans les affaires qui le minent depuis fin janvier et qui ont raccourci ses discours, excédant rarement une heure depuis deux mois.
Marine Le Pen, les élites du parti en appui. Le flou règne autour des discours de Marine Le Pen. En premier lieu, son entourage s’emploie à déminer la rumeur selon laquelle elle serait incapable d’écrire elle-même ses discours. "Elle s’implique, elle co-rédige, elle corrige. C’est une bosseuse qui s’immisce dans tous les sujets, avec beaucoup de talent autour d’elle", vante Jean-Lin Lacapelle, un des cadres du parti. Mais de ce pool de rédacteurs qui entoure la candidate, presque rien ne filtre. "Seule Marine Le Pen est habilitée à en parler", évoque-t-on à Nanterre, au siège du parti. Tout juste sait-on que c’est Damien Philippot, frère de Florian et ancien sondeur à l’Ifop, qui chapeaute cette équipe, avec le concours de Philippe Olivier, discret mégrétiste reconverti, à la cellule "Idées-images", centrale dans le dispositif de campagne.
Dans les faits, Marine Le Pen a parcellisé l’élaboration de ses discours : elle reçoit de nombreuses notes de la part des collectifs du Rassemblement Bleu Marine comme Racine pour les enseignants ou Audace pour les chefs d’entreprise. Reste une structure à part dans la préparation des discours : les Horaces, ces cadres supérieurs du public et du privé qui collaborent avec les têtes pensantes du Front pour toute la production d’idées, discours compris. "Des hauts-fonctionnaires fournissent des notes en secret à Marine Le Pen", affirme un membre du conseil stratégique, composé de 34 personnes qui n’interviennent pas toutes dans la rédaction des discours. Mais qui lui fournissent conseils et impressions sur ses textes, rarement prononcés en moins d'une heure.
Des meetings de plus en plus diffusés. Depuis dix ans, les discours des candidats à l'élection présidentielle occupent une place cruciale dans une campagne présidentielle avec l'essor des chaînes de télévision en continu, naissantes en 2007, importantes en 2012 et incontournables en 2017, avec la diffusion d'un meeting, souvent en intégralité. Ce qui permet à un candidat de démultiplier son audience, aussi renforcée par les diffusions en direct sur les réseaux sociaux. L'attention accordée à leur préparation est donc loin de faiblir.