"Je ne comprends pas cette grève [de la SNCF]. L'important serait peut-être de sortir de la gréviculture." En employant ce terme, lundi, sur France Inter, Gabriel Attal ne s'attendait peut-être pas à déclencher un tel tollé. Le porte-parole de la République en marche! a immédiatement subi les foudres de l'opposition de gauche, qui lui a reproché l'emploi d'un terme connoté. Derrière la bataille du rail, c'est bien celle de la communication qui se joue. Et chaque mot a son importance.
La "gréviculture"
Celui de "gréviculture" a particulièrement énervé Alexis Corbière, député LFI. Les cheminots "ne sont pas des cultivateurs qui font pousser des grèves pour s'amuser", a-t-il souligné mardi sur Europe 1. L'élu de Seine-Saint-Denis a par ailleurs attribué la paternité de ce terme à Jean-Marie Le Pen pendant les grèves de 1995. "C'est important quand un gouvernement parle comme l'extrême droite quand il y a des grèves. C'est méprisant. Le petit arrogant d'En marche!, issu d'un milieu social favorisé, devrait baisser la tête et saluer les travailleurs."
En réalité, le néologisme, beaucoup plus ancien, est apparu au début du 20e siècle et s'est répandu dans la presse nationaliste, anti-dreyfusarde, colonialiste et xénophobe, comme le montre cette recherche détaillée sur Twitter. Si le Front national a effectivement repris le terme de "gréviculteurs" pour déprécier les syndicats, ce mot a finalement essaimé dans les milieux industriels et patronaux. Lorsqu'il était à la tête de la SNCF (entre 1996 et 2006), Louis Gallois cherchait déjà à mettre un coup d'arrêt à la "gréviculture". Et même les syndicats dits réformistes, comme la CFDT, se sont mis à l'utiliser pour fustiger un dialogue social qui "n'existe que sur le rapport de force".
L'exécutif "tiendra bon dans la concertation"
L'exécutif embrasse donc un vocabulaire issu du milieu patronal, également ancré à droite, repoussant les syndicats à l'extrême gauche. "La CGT défend un projet collectiviste et égalitariste", a ainsi jugé Jean-Baptiste Djebbari, rapporteur du projet de loi ferroviaire, dans Libération. Deux termes en -iste qui, aujourd'hui, reviennent dans la bouche des libéraux sur des sujets très divers –Jean-Michel Blanquer avait ainsi pourfendu l'égalitarisme dans l'éducation nationale, "vrai ennemi" selon lui.
Parallèlement, le gouvernement affûte des arguments déjà utilisés à maintes reprises sur d'autres réformes, en mettant en avant ses capacités d'écoute d'une part et sa détermination de l'autre. Une nouvelle variation du "et en même temps" macronien parfaitement résumée par la ministre des Transports, Elisabeth Borne, mardi sur BFM TV : l'exécutif "tiendra bon dans la concertation".
Un "plan de destruction", un "contre-projet"
Sans surprise, du côté des partisans de la grève, le vocabulaire employé est guerrier, le champ lexical celui de la destruction. Dans son dernier billet de blog publié lundi, Jean-Luc Mélenchon exalte la "grande bataille sociale" désormais engagée. "Dans la jeunesse, le feu semble prendre à la plaine", écrit le leader de la France Insoumise, qui parle de "combattants" à "aider matériellement". De son côté, Philippe Martinez, patron de la CGT, évoque une "convergence des luttes" pour ne pas laisser "casser l'outil de travail" cheminots. Ce qui rejoint le communiqué de la France Insoumise publié dès la mi-mars, dans lequel les députés dénonçaient un "plan de destruction que veut imposer le gouvernement".
Néanmoins, les syndicats ne se contentent pas d'installer l'idée d'une confrontation frontale, et brutale, avec l'exécutif. Ils prennent bien soin de mentionner qu'eux aussi sont ouverts à la concertation. Depuis plusieurs semaines, Philippe Martinez appuie sur les "propositions" de la CGT, qui a soumis un "contre-projet" au gouvernement pour "réorienter" la réforme. Objectif : montrer que l'exécutif n'a pas le monopole de l'écoute et, surtout, qu'il "préfère choisir l'affrontement avec les salariés de la SNCF". Avec Edouard Philippe, "on discute d'un côté et on avance de l'autre", répète à l'envi Philippe Martinez.
Et il ne s'agit pas là que de petits détails d'arrière-boutique. Partisans et opposants à la réforme le savent : les éléments de langage assénés toute la journée font mouche dans l'opinion. Et, en cas de grève longue et pénalisante, comme celle qui s'annonce, avoir les Français avec soi décuple les chances de succès.
Une interview d'Elisabeth Borne trop réécrite pour être publiée
Ultime preuve que chaque mot est pesé et soupesé avant d'être prononcé, le quotidien Les Échos a annoncé lundi avoir dû supprimer une interview de la ministre Elisabeth Borne sur la réforme de la SNCF, car celle-ci avait été trop réécrite par Matignon. Si le processus d'une relecture des interviews par les membres du gouvernement est classique (et commence à être contesté par certains journaux, comme La Voix du Nord), il reste rare qu'un entretien entier soit reformulé. D'autant plus lorsque c'est du fait de Matignon, et non du ministère concerné.