Une chambre haute à convaincre : l'inscription de l'IVG dans la Constitution entre mercredi dans sa phase parlementaire la plus périlleuse avec son examen en commission au Sénat, où la droite semble s'ouvrir peu à peu à la réforme malgré des réticences encore tenaces. Voteront-ils en faveur de la constitutionnalisation d'une "liberté garantie" à l'interruption volontaire de grossesse, comme l'espère l'exécutif? Rejetteront-ils cette promesse phare d'Emmanuel Macron?
Ou choisiront-ils une troisième voie, celle d'une nouvelle formulation du projet de loi constitutionnelle, qui obligerait alors les députés à se pencher à nouveau sur le sujet ? Seule certitude, le suspense sera maintenu jusqu'à l'examen de cette révision constitutionnelle en séance publique, le 28 février. Et rien n'assure que le Sénat, dominé par une exigeante alliance de la droite et du centre, approuvera la réforme à la virgule près.
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Un Congrès repoussé ?
Seule une adoption conforme du Sénat ouvrira la voie à un Congrès réunissant tous les parlementaires. Il faudra alors dégager une majorité des trois cinquièmes pour valider définitivement cette réforme constitutionnelle. La date du 5 mars pour le Congrès, envisagée fin 2023 par l'exécutif, paraît donc à ce stade très incertaine et le gouvernement se garde bien de la remettre sur la table. "Je ne suis pas pressé", a confirmé mardi le ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti, comme pour cajoler les sénateurs. "Le Parlement doit faire son travail et nous prendrons le temps qu'il faut".
Le garde des Sceaux, qui se sait soutenu par l'ensemble de la gauche et de la majorité, a tout de même pris soin d'interpeller la droite : "Le temps n'est-il pas venu de consacrer cette liberté tous ensemble ? Cela aurait beaucoup d'allure." Mais l'influent président du Sénat Gérard Larcher a semé le trouble ces derniers jours en rappelant haut et fort son opposition au projet gouvernemental. L'IVG n'est "pas menacée" en France et la Constitution n'est "pas un catalogue de droits sociaux et sociétaux", a-t-il lancé, s'attirant les foudres des associations de défense des droits des femmes.
Si beaucoup à droite partagent son analyse, la position du patriarche de la chambre haute ne semble ni majoritaire parmi les 348 sénateurs de l'hémicycle, ni au sein des 49 membres de la commission des Lois. En effet, le Sénat a déjà approuvé, en février 2023, un texte consacrant dans la Constitution la "liberté" de la femme à "mettre fin à sa grossesse". Mais la notion de "garantie" n'y figurait pas.
"Mépris du débat"
"Cela finira par passer", reconnaît lui-même Hervé Marseille, le chef des centristes. Celui-ci laissera comme à son habitude une "liberté totale" à ses troupes sur ce projet, bien qu'il s'y oppose personnellement. Même liberté chez LR, où le chef de file Bruno Retailleau - hostile lui aussi - n'imposera "pas de ligne" politique à ses membres "sur ce sujet qui engage la conscience personnelle de chacun", a-t-il expliqué à l'AFP. Avant d'insister: "Le gouvernement ne peut pas nous imposer un calendrier au mépris du débat parlementaire."
Signe des difficultés de la droite à arrêter une position collective sur ce dossier, plusieurs sources au sein du groupe LR ont confirmé qu'aucun amendement ne sera déposé au stade de la commission, la droite préférant réserver ses éventuelles propositions pour le 28 février. "On voit bien qu'il y a une évolution dans le groupe", reconnaît Agnès Canayer, désignée rapporteure par le groupe LR. "Je n'y suis toujours pas favorable mais je ne voterai pas contre", glisse-t-elle même, plaidant néanmoins pour la version déjà adoptée au Sénat, une formulation "claire, nette et limpide".
De l'autre côté de l'hémicycle, la gauche ne compte pas desserrer la pression pour faire basculer les indécis : "L'enjeu de ce vote dépasse largement le contexte politique actuel et nos divergences", insiste l'écologiste Mélanie Vogel dans un appel à ses collègues de la droite et du centre.