Manuel Valls a quitté la gauche mais laissé derrière lui une expression toujours bien d'actualité. Ces "gauches irréconciliables" qui désignaient, dans la bouche du Premier ministre de l'époque, deux tendances au sein du Parti socialiste, sont toujours là. Et ne sont pas seulement circonscrites au PS. Entre La France Insoumise, les Verts, le Parti communiste, le mouvement de Benoît Hamon Génération(s) et le nouveau Premier secrétaire de Solférino, difficile d'imaginer une convergence. Et ce, en dépit du fait que tous partagent au moins deux points communs solides : d'une part, une opposition ferme, ou du moins affichée comme telle, à Emmanuel Macron ; d'autre part, le constat que l'union fait la force.
Sur le papier, tout favorise une union de la gauche
Les réformes socio-économiques du gouvernement hérissent la gauche, toute la gauche. Cela n'a jamais fait de doute au sein de la France Insoumise ou du Parti communiste, et cela n'en fait plus vraiment du côté du Parti socialiste. Si certains députés Nouvelle Gauche (ex-PS), dont le chef du groupe désormais appelé à devenir Premier secrétaire du Parti, Olivier Faure, se sont abstenus en juillet dernier sur le vote de confiance au gouvernement, tous ont durci leur discours depuis.
Les ordonnances de réforme du code du travail, la réforme d'accès à l'université, la refonte de l'ISF et enfin, plus récemment, celle promise de la SNCF, ont toutes cristallisé l'opposition de gauche. Preuve en est avec les participants à la manifestation de jeudi 22 mars : du NPA d'Olivier Besancenot au PS d'Olivier Faure, tout le monde était là. Et, à l'exception du PS, qui n'avait pas été convié à le faire, toutes les organisations avaient signé le même appel à manifester.
" On a, autour d'un appel commun, une forme de première correspondance de ce que pourrait être l'unité de la gauche. "
"Il y a eu des désaccords exprimés, des malentendus peut-être", reconnaît Benoît Hamon, qui était en réunion publique mercredi soir à Paris. Mais "en tout état de cause on a, autour d'un appel commun, une forme de première correspondance de ce que pourrait être l'unité de la gauche à côté de l'unité syndicale". Une bonne chose, pour l'ancien candidat à la présidentielle. "Il serait apparu très dérisoire qu'on ne soit même pas capable de se mettre d'accord sur la défense du service public et des cheminots. Cela aurait été assez ridicule quand on voit bien qu'on est à un point de bascule et que le climat, l'atmosphère, a quelque chose de très différent avec ce qu'on avait pu connaître au moment des ordonnances travail."
Jusqu'ici, la désunion a porté préjudice à la grogne
À l'époque de ces ordonnances visant à réformer le code du travail, à l'été puis à la rentrée, "il était clair qu'objectivement [la mobilisation] n'était pas de nature à faire reculer le gouvernement sur le fond", avance encore Benoît Hamon. Outre le "climat" peu propice, selon lui mais aussi selon LFI, la désunion avait été pointée du doigt. Logiquement, nombreux sont ceux qui, aujourd'hui à gauche, appellent à ne pas répéter la même erreur.
"Il n'est pas interdit d'être intelligent et de discuter avec tout le monde, y compris Jean-Luc Mélenchon", estime ainsi Emmanuel Maurel, candidat malheureux au poste de Premier secrétaire du PS. "François Mitterrand avait fait le choix de l'union [de la gauche] au moment où le Parti communiste était plus fort que le PS." "Des chefs qui divisent, je n'en ai jamais vu réussir", confiait également Olivier Faure à France 24 au moment de son élection à la tête du PS, la semaine dernière.
Mais dans les faits, les désaccords menacent cette union
Si sur le papier toutes les conditions sont réunies pour une union de la gauche, l'idée a été sérieusement malmenée jeudi. D'une part, elle a été balayée par Jean-Luc Mélenchon qui a estimé que ce n'était "pas le sujet". "Le sujet aujourd'hui c'est pas Pierre, Paul, Jacques et le tapis rouge du Festival de Cannes de la lutte sociale", a déclaré le leader de la France Insoumise devant les caméras. "Le vrai sujet de la journée, c'est combien y'en a [de Français] qui se mettent en mouvement."
" "L'effet 'rassemblement de la gauche' est plus un repoussoir qu'une dynamique." "
Par ailleurs, le PS, déjà ostracisé car non convié à signer l'appel commun, a été bien malmené au sein du cortège. Insulté de "social traître", de "vendu" par certains militants, Olivier Faure a fini par être exfiltré. Non sans répéter, au passage, que le PS était "prêt à manifester", "en dépit de l'accueil qui [lui] est accordé".
En outre, toutes les formations ne sont pas d'accord sur la suite à donner au mouvement. Pour Jean-Luc Mélenchon, il n'y a qu'une solution : faire converger les luttes entre tous les travailleurs pour organiser un vaste rassemblement. "Et qu'on le fasse plutôt un dimanche car ça ne coûte pas une journée de paye", a-t-il expliqué. Mais les autres responsables politiques de gauche sont gênés aux entournures et préfèrent laisser aux syndicats le soin de caler les journées de mobilisation, avant de s'y greffer en soutien. "On n'a pas à décider à leur place", estime ainsi Sandra Regol, porte-parole d'Europe Ecologie-Les Verts, dans les colonnes du Figaro. "Cela reviendrait à rejeter la grève comme outil de mobilisation des salariés."
Rassemblées à l'initiative d'Olivier Besancenot, le premier à avoir appelé début mars à l'unité, les forces politiques de gauche doivent se réunir prochainement pour en discuter. À l'exception du PS, bien sûr, qui reste encore et toujours le mouton noir de ces mouvements plus radicaux. Le dialogue ne s'annonce pas franchement facile. La France Insoumise reste frileuse car elle pense, comme l'a expliqué le député Adrien Quatennens au JDD en février, que "l'effet 'rassemblement de la gauche' est plus un repoussoir qu'une dynamique. Les gens n'attendent pas que du vieux bois mort se rassemble pour faire le radeau de la méduse". La "belle image" d'union promise par Benoît Hamon jeudi va devoir encore attendre, ou se résigner à limiter le nombre de personnes y figurant.