Il n'y a pas qu'en France que la présidentielle alimente toutes unes et manchettes. Chez nos voisins aussi, l'élection passionne les médias. D'autant plus depuis fin janvier, quand les révélations du Canard Enchaîné sur l'emploi présumé fictif de Penelope Fillon ont irrémédiablement fait basculer la campagne dans la cacophonie la plus complète.
Pour le Daily Telegraph, quotidien britannique conservateur, la France s'apprête à vivre "l'élection la plus imprévisible depuis des décennies". Le journal italien Corriere della Sera, avec un art consommé de la métaphore, explique que "la course à l'Élysée la plus folle de tous les temps" se trouve "quelque part entre un roman de Balzac et une série télé : un peu Comédie humaine, un peu House of Cards".
Focus sur les "gros" candidats. Les médias étrangers ont tendance à se focaliser sur un nombre réduit de candidats, avec, logiquement, une grosse prime aux mieux placés dans les sondages. "En général, on a tendance à se focaliser sur les trois ou quatre qui font la course en tête", admet Aurélien Breeden, journaliste franco-américain qui travaille en France pour le New York Times. Par manque de moyens humains, mais aussi parce que les lecteurs outre-Atlantique sont bien moins habitués à voir autant de partants sur la ligne de départ. Une exception toutefois : la prestation de Philippe Poutou lors du débat à onze lui a octroyé plus de place que son unique pourcentage d'intentions de vote ne le laissait présager. Le New York Times a fait le portrait de celui qui "est immédiatement devenu une espèce de héros populaire, exprimant crûment ce que pensent beaucoup de Françaises et de Français : la classe politique, engoncée dans ses privilèges, est manifestement corrompue". Et le Guardian britannique en a profité pour préciser que "son nom signifie 'petit bisou' en français".
" En général, la presse américaine a tendance à se focaliser sur les trois ou quatre qui font la course en tête. "
"Pour les Britanniques, Mélenchon est un extraterrestre." Aurélien Breeden anticipe dans la dernière ligne droite un traitement plus approfondi de Jean-Luc Mélenchon, porté par une bonne dynamique sondagière. Même si son personnage est difficilement cernable par les Américains. "Ils ont du mal à le placer sur un échiquier politique, dans la mesure où le centre politique américain est plus à droite que le nôtre." Même analyse du côté de la Grande-Bretagne. "Pour les Britanniques, Jean-Luc Mélenchon est un extraterrestre", explique au Parisien Jon Henley, ancien correspondant du Guardian entre 1997 et 2007.
"L'élection de Trump explique beaucoup de choses". Si la présidentielle française passionne autant les autres, c'est qu'elle s'inscrit dans un contexte très particulier. "L'élection de Trump explique beaucoup de chose", note Aurélien Breeden. "Nos éditeurs aux Etats-Unis veulent voir s'il y aurait une tendance mondiale au populisme et s'intéressent donc de très près aux élections européennes. Il y a aussi eu beaucoup de critiques à leur égard pour avoir sous-estimé Trump et sur-estimé Clinton. Ils n'ont pas envie de se faire avoir deux fois et de s'entendre dire qu'ils n'ont pas suffisamment pris au sérieux les chances de victoires de Marine Le Pen."
Reportages en terres frontistes. La candidate frontiste est donc l'objet de toutes les attentions. Le Guardian a envoyé sa reporter Kim Willsher enquêter dans l'Yonne sur cette "génération qui a l'impression d'être abandonnée par les partis traditionnels, de ne pas avoir d'opportunité", et qui penche pour l'extrême droite. "Jusqu'à un quart de cette génération, qui n'a jamais connu la rhétorique antisémite, raciste et négationniste du fondateur du Front national, Jean-Marie Le Pen, est prête à voter pour sa fille", explique la journaliste. Le New York Times, lui, a multiplié les angles d'analyse, consacrant par exemple un long article sur les efforts faits par Marine Le Pen pour courtiser l'électorat juif.
" La presse allemande s'est très tôt focalisée sur Marine Le Pen. "
La presse allemande focalisée sur Le Pen. La presse allemande aussi s'intéresse beaucoup à la candidate frontiste, qu'elle redoute par-dessus tout. Les attaques régulières de Marine Le Pen contre le "modèle allemand", ainsi que son peu d'appétence pour l'Union européenne, en font une figure très critiquée Outre-Rhin. "Pour elle, la liberté n'est ni un droit fondamental, ni la condition pour le développement des citoyens", assène ainsi le journal économique Handelsblatt. Début mars, la Süddeutsche Zeitung, quotidien de centre gauche, avait publié une analyse sur les conséquences de sa victoire, intitulée "Le risque Le Pen". "La presse allemande s'est très tôt focalisée sur elle, y voyant comme le troisième morceau d'un triptyque dont les deux premiers seraient le Brexit et l'élection de Donald Trump aux Etats-Unis", explique Michaela Wiegel, correspondante à Paris du journal conservateur Frankfurter Allgemeine Zeitung.
La victoire de Marine Le Pen est d'autant plus prise au sérieux par les journaux étrangers que, la plupart du temps, le mode de scrutin français est méconnu. "Le système à deux tours étant mal intégré, la plupart des gens voient les sondages de premier tour comme des résultats définitifs", explique Aurélien Breeden. "Ils ont l'impression que la présidente du Front national est la grande favorite parce que la notion de front républicain leur échappe."
"Incompréhension et fascination" américaine pour Fillon. L'affaire Fillon est aussi, bien sûr, un inépuisable sujet pour les médias étrangers. Aux États-Unis, il y a vis-à-vis des déboires judiciaires du candidat de la droite "un mélange d'incompréhension et de fascination", note Aurélien Breeden. "D'un point de vue américain, il est difficile de comprendre pourquoi il a persisté à se présenter, et surtout comme il a encore toutes ses chances d'être élu." Dans le New York Times, Adam Nossiter a écrit un article très critique sur le "scandale Fillon [qui] accuse, avant tout, l'élite politique française". "Cela a remis en question le fonctionnement normal de la classe politique", écrit le journaliste, qui estime que les affaires ouvrent un boulevard au populisme. "Le fait que personne, parmi les potentiels remplaçants de M. Fillon, n'est blanc comme neige, en dit long sur les décennies de lente décomposition de l'establishment politique français."
" D'un point de vue américain, il est difficile de comprendre comment Fillon a encore toutes ses chances d'être élu. "
"Filou Fillon ?" La presse allemande n'est pas plus tendre. Dès le début du feuilleton des affaires, elle en a suivi les moindres rebondissements. "Filou Fillon ?" titrait le Frankfurter Allgemeine Zeitung au lendemain des premières révélations du Canard Enchaîné. Quelques jours plus tard, le Handelsblatt parlait de "désintégration des Républicains en France." "François Fillon est un cas désespéré", écrivait Die Welt il y a quelques semaines. "S'il était malade, les médecins le déclareraient incurable : perte chronique du sens des réalités, diagnostiqueraient-ils. À un mois de l'élection, la liste des scandales le concernant ne cesse de s'allonger. Et pourtant, le candidat conservateur semble chaque jour plus convaincu de pouvoir l'emporter."
Macron, "le beau gosse qui lisait Goethe". Dernier élément pour expliquer la passion des médias étrangers pour la présidentielle française : la présence d'Emmanuel Macron. La presse allemande adore cet "enfant prodige de la politique, devant qui le tapis rouge de l'Élysée est déjà déroulé" (Die Welt), "le beau gosse qui lisait Goethe" (Frankfurter Allgemeine Zeitung), cet "homme en mission et homme pressé", "révolutionnaire pour ses soutiens, utopiste sans programme pour ses détracteurs" (Der Spiegel). L'hebdomadaire voit dans le candidat de 39 ans une "incarnation de la jeunesse, du charme, du charisme et de l'idée d'un avenir meilleur, bref, tout ce qui manque à la majorité des politiciens conventionnels". L'europhilie du fondateur d'En Marche!, sa volonté de renforcer le couple franco-allemand mais aussi d'engager une réforme du code du Travail plaît beaucoup Outre-Rhin. Sans compter que son statut de favori face à Marine Le Pen ne peut que satisfaire une presse allemande complètement réfractaire à l'extrême droite.
" Pour nous, Macron, dont les idées rappellent celles de Tony Blair, est un outsider qui incarne un désir de renouvellement. "
"Ses idées rappellent celles de Tony Blair". En Grande-Bretagne comme aux Etats-Unis, l'ancien ministre de l'Économie éveille la curiosité. "Il est nouveau et correspond sûrement plus à ce qu'est un homme politique américain que les autres candidats", explique Aurélien Breeden du New York Times. "Son émergence prouve qu'un candidat hors parti peut s'imposer", renchérit Jon Henley du Guardian. "Pour nous, Macron, dont les idées rappellent celles de Tony Blair, est un outsider qui incarne un désir de renouvellement, une sorte de contrepartie républicaine au FN."
"Le socialisme français vit ses jours les plus sombres". Et la gauche dans tout ça ? Benoît Hamon étant distancé dans les sondages, et Jean-Luc Mélenchon semblant, jusqu'à récemment, trop loin pour espérer une qualification au second tour, elle est nettement moins présente dans les médias étrangers. La presse latine reste cependant plus prolixe que l'anglo-saxonne. Mais tout aussi sévère. "Le socialisme français vit ses jours les plus sombres", estimait le quotidien espagnol El Mundo en mars, après l'annonce du soutien de Manuel Valls à Emmanuel Macron. "Le PS paraît condamné à un désastre électoral et à une refondation." Le quotidien de gauche italien Il Manifesto fait la même analyse. "L'explosion du Parti socialiste est déjà à l'ordre du jour", selon lui, Manuel Valls ayant "donné le coup de grâce" en rejoignant Emmanuel Macron.