"C'est trop compliqué !" : pour de nombreux électeurs fragilisés par l'âge, qu'ils vivent à domicile ou en Ehpad, voter à la présidentielle paraît hors d'atteinte sans accompagnement, mais la société peine à se mobiliser pour les aider, regrettent des associations. "J'ai toujours voté. Mais depuis que je suis en maison de retraite, je ne sais même pas où je suis inscrite", soupire Marie-Thérèse Schverer, 94 ans, qui se déplace en fauteuil roulant et vit dans un Ehpad de Saint-Pierre, dans la campagne alsacienne.
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"Le vote relève de la sphère privée, mais notre rôle est aussi d'aider les résidents à y accéder"
Dans ce petit établissement de 48 résidents, la direction a distribué dans chaque chambre un document écrit pour rappeler les dates du scrutin. "Si vous avez besoin d'aide, de renseignements ou rencontrez toutes autres difficultés, vous pouvez solliciter vos proches ou l'accueil de votre établissement", précise le bref courrier. La gendarmerie locale a prévu de se déplacer pour établir sur place les éventuelles procurations, et le jour de l'élection une animatrice de l'établissement accompagnera les résidents qui le souhaitent jusqu'à l'entrée de l'isoloir, explique le directeur, Rebel Abi-Kenaan.
"Le vote relève de la sphère privée, mais notre rôle est aussi d'aider les résidents à y accéder s'ils le souhaitent", analyse-t-il. Malgré tout, pour beaucoup de seniors, "ce n'est pas un parcours très simple", reconnaît le directeur.
"Décrochage civique"
En 2017, seuls 8,7% des électeurs de 70 à 74 ans se sont abstenus aussi bien à la présidentielle qu'aux législatives mais cette proportion a atteint 30,3% des plus de 80 ans, selon l'Insee : des chiffres qui traduisent un "décrochage civique au-delà de 80 ans", analyse Jean-Philippe Viriot Durandal, sociologue à l'Université de Metz. Ce phénomène est peut-être corrélé avec la perte d'autonomie des seniors concernés, mais aussi, plus généralement, avec "un sentiment, chez les personnes âgées, d'être désormais étrangères au monde qui les entoure", souligne ce spécialiste des questions liées au vieillissement et à la citoyenneté.
A tout âge, chacun est naturellement libre de s'abstenir, observe l'universitaire, mais "le problème, c'est lorsque la non-participation au vote ne relève pas d'un choix, mais plutôt d'un sentiment d'incapacité". "Ce n'est pas seulement de la classe politique que ces abstentionnistes âgés se sentent éloignés, mais de la société dans son ensemble", selon lui. Cela traduit "l'aboutissement d'une forme d'exclusion sociale", qui reste pourtant un "impensé" et "un non-sujet dans le débat public", regrette le sociologue.
"Votez pour moi!"
Convaincue qu'il faut "agir pour redonner voix aux personnes âgées isolées", la Société Saint-Vincent de Paul, une association caritative, vient justement de lancer une campagne d'affichage où des anonymes âgés proclament "votez pour moi!" : il s'agit d'inciter les Français à proposer à leurs "parents, grands-parents, voisins ou simples connaissances" de leur établir une procuration. "Dans les campagnes, certaines personnes âgées n'ont pas de voiture et ne peuvent pas se déplacer. On peut leur proposer de les accompagner au bureau de vote", souligne Michel Lanternier, le président de l'association, pour qui "il y a là un vrai enjeu démocratique".
Pour l'association AD-PA, qui regroupe des directeurs de maisons de retraite et de structures d'aide à domicile, une des solutions pourrait être d'octroyer aux seniors fragilisés des heures d'aide spécifiques pour les accompagner le jour de l'élection. Ou d'installer des bureaux de vote dans des Ehpad, plutôt que dans des écoles. En attendant, "comme d'habitude l'Etat se défausse sur les professionnels, qui ne sont pas assez nombreux, et sur les familles", observe Pascal Champvert, le président de l'association.
Les seniors, qui "restent des citoyens jusqu'au bout de leur vie", n'ont pourtant pas tous leur famille auprès d'eux, relève Claudette Brialix, de l'organisation de familles de personnes âgées Fnapaef. "Les familles qui viennent chercher la personne âgée pour l'emmener voter, ce n'est pas si fréquent que cela", selon elle. Et parfois, les enfants sont d'ailleurs eux-mêmes abstentionnistes, "alors pourquoi iraient-ils se préoccuper que leurs parents aillent voter?".