Le Sénat, dominé par l'opposition de droite, a largement adopté mardi en première lecture le projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de l'Intérieur (Lopmi) porté par Gérald Darmanin, qui prévoit sur cinq ans un effort financier de 15 milliards d'euros. Le vote a été acquis par 307 voix - y compris le groupe PS - contre 27, seuls les groupes écologiste et CRCE à majorité communiste s'y étant opposés. Ce sera prochainement au tour des députés d'éplucher ce texte régalien.
"Tel le Candide de Voltaire, vous avez bien cultivé le jardin de la police, mais il reste beaucoup à défricher sur les jardins de la justice et de la procédure pénale avant que tout aille pour le mieux dans le meilleur des mondes", a lancé le corapporteur LR Marc-Philippe Daubresse (Nord), à l'adresse du ministre. Pour l'essentiel, le projet de loi prévoit 15 milliards d'euros supplémentaires de budget en cinq ans, dont "plus de la moitié, 8 milliards, consacrés au cyber et au numérique", a indiqué le ministre.
Lutte contre la cybercriminalité
Ce sont 8.500 postes de policiers et gendarmes qui doivent être créés, dont "3.000 dès 2023", selon la Première ministre, Elisabeth Borne. Alors que la France s'apprête à accueillir deux grands événements sportifs - Coupe du monde de rugby et Jeux olympiques -, 11 nouvelles unités de forces mobiles "spécialisées dans l'intervention rapide" seront créées. Et, pour assurer la sécurité dans les zones rurales, 200 brigades de gendarmerie.
Pour lutter contre la cybercriminalité, en constante augmentation, le projet de loi permet les saisies d'actifs numériques comme les cryptomonnaies. Concernant les "rançongiciels" - demandes de rançons après une cyberattaque -, il conditionne le remboursement par les assurances au dépôt d'une plainte par la victime. Ajout majeur des sénateurs: les peines encourues pour les refus d'obtempérer, les rodéos urbains et les violences faites aux élus seront aggravées. "Il est nécessaire que les moyens de terrain puissent suivre la sévérité même de la loi que nous votons ici", a prévenu le corapporteur centriste Loïc Hervé.
Le texte prévoit, par ailleurs, de réprimer plus sévèrement l'outrage sexiste et comporte plusieurs mesures de simplification de la procédure pénale. Le principe de l'amende forfaitaire délictuelle sera étendu à 25 nouveaux délits. Des amendements socialistes visent à faciliter l'accueil et l'accès aux démarches en ligne des victimes handicapées.
"Loi de chiffres"
"Tout ne nous plaît pas, et c'est un euphémisme, dans cette Lopmi (...), mais la demande de sécurité exprimée par nos concitoyens (...) nous a convaincus de voter en faveur de ce texte et des moyens supplémentaires qu'il alloue à nos forces de l'ordre", a déclaré le socialiste Jérôme Durain.
La présidente du groupe CRCE, Eliane Assassi, a en revanche fustigé "une loi de chiffres, d'effectifs", qui "ne se penche pas sur l'humain, sur le rapport entre citoyens et police, citoyens et service public". "Nous avons bien perçu la continuité d'une politique qui se veut plus répressive que protectrice, qui obère les liens avec les citoyens, causant ou aggravant une rupture de confiance", a renchéri l'écologiste Guy Benarroche.
La réforme controversée de la police judiciaire, mentionnée dans le rapport annexée au projet de loi mais de nature réglementaire, a été l'un des points principaux de débat qui s'est tenu la semaine dernière dans l'hémicycle. Gérald Darmanin a tenté de calmer les esprits en assurant une nouvelle fois que les magistrats "auront toujours l'immense et entière responsabilité des enquêtes".
Au lendemain d'une nouvelle journée de mobilisation de centaines d'enquêteurs contre ce projet de réforme, Jérôme Durain a joué mardi la carte de la malice: "Pour faire rentrer la PJ dans les commissariats, c'est comme pour faire cesser les blocages dans les dépôts (de carburant), il faudra négocier", a-t-il dit. La question des violences intrafamiliales a également donné lieu à de vifs échanges sous la pression de Laurence Rossignol, le ministre comme les rapporteurs estimant que la Lopmi n'avait pas vocation à réformer le Code civil.