Le pitch d'Un berger et deux perchés à l'Élysée ?, sorti mercredi en salles, ne ressemble à aucun autre. Pierre Carles, documentariste, et Philippe Lespinasse, réalisateur, tombés sous le charme bourru de Jean Lassalle, acceptent de faire partie de l'équipe de campagne du candidat à la présidentielle en 2017. Leur motivation principale : pour ces deux engagés à gauche, le "berger" est le "moins pire" (comprendre : le plus à gauche) des candidats de droite. Fantasque, iconoclaste, voilà un parfait sujet de documentaire.
Les "deux perchés" ont donc suivi le candidat du Béarn à l'Assemblée, en passant par les soirées dans la Drôme à la recherche de parrainages. La fin, tout le monde la connaît : Jean Lassalle a recueilli 1,5% des suffrages. Mais entre-temps, et un peu après aussi, Pierre Carles et Philippe Lespinasse ont eu le temps de saisir le déroutant Béarnais et d'en dévoiler, avec une bienveillance qui ne sombre heureusement pas dans la complaisance, quelques facettes méconnues.
Nicolas Sarkozy aurait voulu le nommer à la Défense
Calé dans le fauteuil de son bureau à l'Assemblée nationale, Jean Lassalle cultive sa différence. "Je suis le seul qui ai refusé d'être ministre de toute ma génération", se targue-t-il devant la caméra de Carles et Lespinasse. Quand donc ? D'après lui, Nicolas Sarkozy lui aurait proposé… la Défense. "T'as une gueule, tu peux dire quelque chose", aurait dit l'ancien président de la République. Avant de se confronter, donc, au refus du Béarnais. "Les autres rampent pour être Secrétaire d'État aux choux farcis. Je comprends vraiment qu'on puisse te prendre pour un con parce que t'es un con", aurait rétorqué Nicolas Sarkozy. On découvre au passage que Jean Lassalle imite très bien l'ancien ministre de l'Intérieur qui lui a infligé "le contrôle fiscal le plus violent de [s]a vie".
Même sa mère ne croyait pas à sa victoire
Les mamans sont rarement des modèles d'objectivité lorsqu'il s'agit de leur progéniture. Celle de Jean Lassalle, pourtant, reste perplexe lorsque Carles et Lespinasse lui expliquent, plantés dans sa bergerie, qu'ils vont mener son fils à l'Élysée. "Non, je ne crois pas non", répond Marie Lassalle avec son accent roucoulant. "Il va falloir quand même un très grand miracle. Que Lui [Dieu] ouvre très grand les écluses du ciel." Cela ne l'empêchera pas de sabrer le champagne une fois les 500 parrainages récoltés.
Il est très proche d'André Chassaigne
De quel bord est donc Jean Lassalle ? Sur le papier, du centre-droit. D'abord au RPR, le maire de Lourdios-Ichère, 160 habitants, depuis 1977 s'est ensuite rapproché de François Bayrou. En 2007, il est élu député UDF-MoDem. Nicolas Sarkozy a eu sa préférence au second tour de la présidentielle 2012, année où, réélu aux législatives, Jean Lassalle a préféré siéger comme député non-inscrit.
Et pourtant, ce centriste historique est du genre à faire une grève de la faim lorsqu'une usine de sa région ferme et à manifester contre la loi Travail ou enfiler un gilet jaune. Peu étonnant, alors qu'il ait des amis de gauche. Parmi eux, l'un des plus grands est le chef de file des communistes à l'Assemblée, André Chassaigne. Un berger et deux perchés à l'Élysée ? esquisse le portrait d'une amitié aussi improbable que touchante. Les deux sont d'origine modeste, élus ruraux, et n'aiment rien tant que poser ensemble, bérets sur la tête, au salon de l'Agriculture.
De Jean Lassalle, André Chassaigne dit qu'"il a le cœur qui déborde naturellement". "C'est à l'opposé du marxiste rigoureux, raisonné, imprégné d'un Gosplan parlementaire que je suis." C'est peut-être d'ailleurs cette opposition qui conduit le communiste à analyser aussi finement le positionnement politique de son ami, parfois bien loin de "son socle chrétien et gaulliste". "Tu as une tendance à dériver vers la gauche, mais la gauche véritable", lui lance-t-il taquin. "Il y a une espèce de réminiscence de la parole de tes oncles communistes. Tu vis une révolution intérieure."
Il a parrainé Philippe Poutou
Preuve de la porosité qui existe entre les idées d'un Jean Lassalle de centre-droit et la "gauche véritable", le Béarnais n'a pas hésité à parrainer Philippe Poutou. Sans vraiment le connaître, puisque lorsque Carles et Lespinasse organisent une rencontre entre les deux, espérant secrètement que le second acceptera de collaborer avec le premier, Jean Lassalle ne reconnaît pas le candidat du NPA. S'ensuit une séquence surréaliste dans l'aéroport de Bordeaux, où le berger explique à Philippe Poutou qu'il a rendez-vous… avec Philippe Poutou.
Déni sur la Syrie et les accusations d'agressions sexuelles
L'affection visible que portent Carles et Lespinasse à leur sujet ne les empêchent pas, à la fin du documentaire, de laisser tourner la caméra deux fois longuement sur deux sujets sensibles. Le premier, c'est cette visite impromptue que Jean Lassalle a faite en janvier 2017 à Bachar Al-Assad. Dans l'émission de Laurent Ruquier "On n'est pas couché", le candidat à la présidentielle a expliqué avoir été convaincu par les dénégations du dictateur syrien, qu'il a interrogé sur les attaques contre la population. "Maintenant, je commence à douter sérieusement", s'entête Jean Lassalle lorsque Carles et Lespinasse le confrontent sur le sujet. "J'étais en Syrie en pleine connaissance de cause. J'ai mon intuition et mon ressenti. [Les autres] n'ont pas eu le courage d'y aller." Impossible de le faire changer d'avis, ni admettre qu'aller en Syrie et serrer la main de Bachar Al-Assad était peut-être une erreur. Paradoxalement, c'est ce passage dans "On n'est pas couché" qui a permis à Jean Lassalle de décrocher les derniers parrainages manquant pour concourir à la présidentielle.
C'est dans ce même déni catégorique que s'enferme Jean Lassalle lorsqu'il est interrogé sur les accusations d'agression sexuelle portées par d'anciennes attachées parlementaires, des élues et une journaliste. "J'ai pas fait ça", martèle-t-il à Pierre Carles, qui lui explique que "tous les hommes sont susceptibles d'avoir eu des comportements indélicats". "Pas moi", coupe Jean Lassalle. "Je n'ai pas eu ce comportement." Et Pierre Carles de conclure : "c'est là qu'on s'est dit qu'il fallait peut-être penser à quelqu'un d'autre pour la prochaine présidentielle."