"Construire plus, mieux et moins cher" : c'est l'ambition affichée par le projet de loi logement qui arrive mercredi à l'Assemblée nationale. Programmées jusqu'au 6 juin, les discussions sur ce texte très technique, baptisé Elan (évolution du logement et aménagement numérique) promettent d'être longues et enflammées. Un record de 3.160 amendements ont été déposés. Quatre principaux points cristallisent les crispations.
La loi SRU devrait revenir sur le tapis
Le projet de loi prévoit d'abord une réorganisation d'ampleur du logement social. Objectif : multiplier par cinq la vente de ces logements sociaux, de 8.000 à 40.000 par an, ce qui doit permettre aux bailleurs de dégager de nouvelles recettes, afin de financer la construction de nouveaux logements.
Plusieurs associations de consommateurs, à l'image de Consommation Logement et Cadre de Vie (CLCV), dénoncent un détournement de la loi SRU, qui impose aux communes un quota minimum de 20% de logements sociaux. En effet, le projet de loi Elan prévoit qu’une fois vendus, ces logements resteront comptabilisés comme des HLM pendant dix ans, contre cinq ans à l'heure actuelle. Si Julien Denormandie, le secrétaire d'État à la Cohésion des territoires, a promis de garder "toute l'ambition" de la loi SRU (Solidarité et renouvellement urbain), il a aussi admis qu'il puisse y avoir des correctifs "ici ou là" "parce qu'on se rend compte que pour appliquer cette loi il y a des aberrations".
La gauche, elle, se veut particulièrement critique, à l'instar de François Pupponi (PS), qui pointe du doigt une "mise à mal" du secteur. Selon le député PCF Stéphane Peu, il s'agit d'une réponse "libérale" qui va "fragiliser les plus modestes". En effet, dans les 1.500 quartiers des politiques de la ville - les QPV, qui concentrent un tiers du parc HLM français -, seule une poignée de locataires pourront acheter leurs logements. Or, en cas d'absence d'acheteurs, la loi prévoit que les HLM pourront être vendus en bloc à des sociétés privées, sans que le maire ait son mot à dire.
Les personnes à mobilité réduite, grandes perdantes
Le texte prévoit aussi de réduire à 10% le nombre des logements neufs accessibles aux personnes à mobilité réduite, contre 100% aujourd'hui. Les autres seront "évolutifs", c'est-à-dire adaptables par de menus travaux. Le but : réduire les contraintes et les normes qui font grimper les prix "Nous prévoyons de faire en sorte que ces travaux soient légers. Il s’agit de transformer une douche ou une baignoire, ou d’enlever une cloison", a précisé Jacques Mézard, le ministre de la Cohésion des territoires.
Les associations, elles, dénoncent une "régression sociale". "C'est discriminatoire. C'est aussi complètement incohérent avec toute la politique publique à l'égard du handicap et du vieillissement de la population", s'insurgeait sur Europe 1 Patrice Tripoteau, le directeur général adjoint de l'Association française des paralysés de France (APF), en avril dernier. Le Défenseur des droits Jacques Toubon a même demandé le retrait de cette disposition, qu'il juge contraire aux obligations de la France en matière d'accessibilité.
Les associations de défense de l'environnement inquiètes
Le projet de loi Elan pourrait également remettre en cause la loi littoral, qui encadre les constructions en bord de mer. S'ils venaient à être adoptés, quatre amendements déposés par des députés LREM permettront en effet de passer outre cette loi de 1986 pour permettre le "comblement des dents creuses", ces parcelles vides situées entre deux terrains construits dans un même hameau.
Revendiquée par de nombreux élus de communes du littoral, cette disposition est contestée par les associations de défense de l'environnement. "Ces dispositions ruinent 33 ans d'application de cette loi qui tente de contenir l'urbanisation continue du rivage", déplore ainsi l'association France Nature Environnement.
La loi littoral "est un acquis qu'il ne faut absolument pas remettre en cause", a malgré tout assuré lundi le secrétaire d'État Julien Denormandie, soulignant par ailleurs que les amendements ne changent rien à la disposition qui interdit toute construction sur 100 mètres à compter de la limite haute du rivage.
Les architectes préoccupés
Enfin, les bailleurs qui lancent une opération de construction de logements pourront déroger aux concours d'architecture et à la loi relative à la maîtrise d'ouvrage publique (MOP). Pour eux, un tel changement représente sans doute un gain de temps, mais aussi la possibilité pour certains de se doter d'un maître d'oeuvre maison, afin d'avoir les coudées franches. "Un choix politique assumé" qui "ne déclenche pas que des réactions positives", a reconnu Jacques Mézard, en Commission des affaires économiques, le 15 mai dernier.
Et pour cause : les architectes, mais aussi des élus, craignent une perte de qualité des constructions et des milliers de licenciements dans la maîtrise d'œuvre et le BTP. Le 17 mai, ils ont même manifesté près du ministère de la Culture. "Aujourd'hui la loi dit que pour toute habitation de surface importante, vous avez besoin d'un architecte. On y touche en rien", a pour sa part assuré Julien Denormandie.
Face à l'étendue des débats qui s'annoncent, le recours au "temps législatif programmé", comme pour le projet de loi sur l'agriculture, a été décidé, et sa durée fixée à 50 heures. Le vote sur l'ensemble du texte logement en première lecture aura lui lieu le 12 juin.