Pleins feux sur les "Sages" : le Conseil constitutionnel rend jeudi sa décision très attendue sur la loi immigration, adoptée en décembre au prix d'une crise politique dans le camp présidentiel, où une censure partielle du texte controversé serait vue d'un bon œil. Les neuf juges rendront leur copie dans l'après-midi, à partir de 16h30 au plus tôt. Elle s'annonce touffue, tant les mesures sur la sellette sont légion dans le projet de loi, durci sous la pression de la droite et voté avec l'appui de l'extrême droite.
Restrictions du regroupement familial, de l'accès aux prestations sociales ou encore fin de l'automaticité du droit du sol: les dispositions qui, selon des juristes, sont menacées par le filtre constitutionnel sont aussi les plus décriées du texte. Il s'agit principalement de celles réclamées par Les Républicains (LR) et accordées par une majorité présidentielle réticente, mais cherchant à éviter l'enlisement. Des concessions qui ont déclenché une crise interne, culminant avec l'étalage des états d'âmes de plusieurs ministres et la démission de l'un d'eux.
Des dizaines de milliers de personnes ont encore battu le pavé dimanche contre la loi. Et des opposants - associations, collectifs, juristes, syndicats - dénonceront jeudi près du Conseil à Paris un texte "portant gravement atteinte aux droits des personnes exilées".
Crise dans le camp présidentiel
Le vote favorable des députés du Rassemblement national (RN), salué comme une "victoire idéologique", a laissé un goût amer dans le camp présidentiel, où une censure des articles les plus corrosifs est attendue comme une échappatoire. Jusqu'au sein de l'exécutif, qui a paradoxalement souhaité ouvertement qu'une partie d'un texte qu'il a initié soit censurée.
Pour Emmanuel Macron, faute de majorité absolue à l'Assemblée, il fallait pour aboutir accepter "des choses qui parfois ne nous plaisent pas", y compris potentiellement inconstitutionnelles. "Je l'assume totalement", a-t-il lancé devant les parlementaires de la majorité le 15 janvier, après avoir lui-même saisi le Conseil constitutionnel. "Est-ce qu'on a déjà vu un président de la République et des ministres expliquer qu'ils ne respectent pas l'État de droit? C'est très grave", a fustigé jeudi sur LCI la présidente des députés insoumis Mathilde Panot.
L'institution, déjà sous le feu des projecteurs lors de la réforme des retraites, n'est pas "une chambre d'appel des choix du Parlement", a rappelé son président, l'ex-Premier ministre socialiste Laurent Fabius. Les Sages retoqueront les "cavaliers législatifs", ces ajouts parlementaires qu'ils jugeraient sans lien suffisant avec l'objet de la copie initiale du gouvernement. Et ils censureront sur le fond les articles bafouant selon eux les principes et valeurs constitutionnels.
"Une boucherie chevaline"
Ils ont fort à faire : le projet de loi est passé de 27 articles à 86, sous l'effet surtout des ajouts de LR. "Ça va être la boucherie chevaline", anticipe un cadre Renaissance à l'Assemblée, ironisant sur les "cavaliers gros comme des percherons" que la droite a tenu à insérer dans le texte. Le chef de file des sénateurs LR, Bruno Retailleau, en première ligne sur la rédaction du texte finalement voté, a demandé jeudi sur France Inter au Conseil constitutionnel de "s'en tenir au droit, à la Constitution" y voyant "la seule façon pour les sages du Conseil d'éviter la critique".
Plusieurs dizaines de mesures sont ciblées dans les saisines des parlementaires de gauche, dont quatre aussi citées dans celle de la présidente macroniste de l'Assemblée Yaël Braun-Pivet. Est notamment visée la durée de résidence requise pour que des non-Européens puissent bénéficier de prestations sociales comme les allocations familiales, fixée à cinq ans pour ceux ne travaillant pas et 30 mois pour les autres. Pour l'Aide personnalisée au logement (APL), ces seuils ont été fixés à 5 ans et 3 mois.
Une consécration de la "préférence nationale" chère au RN, se réjouit ce dernier et accuse la gauche. Les durcissements du regroupement familial sont aussi dans le viseur, de même que l'instauration de "quotas" fixés par le Parlement pour plafonner le nombre d'étrangers admis sur le territoire, la caution demandée aux étudiants étrangers, ou la fin de l'automaticité de l'obtention de la nationalité française à la majorité pour les personnes nées en France de parents étrangers.
Si trop de mesures étaient déclarées inconstitutionnelles, "il faudra tout simplement revenir à la proposition qui était la nôtre" de réviser la Constitution, a prévenu mardi le président LR du Sénat Gérard Larcher. Mais cette réforme, prévoyant de pouvoir déroger aux règles de l'UE, est exclue par la majorité.