C'est une vaste concertation, pilotée par le Comité consultatif national d'éthique (CCNE). Les États généraux de la bioéthique s'ouvrent jeudi dans toute la France. D'ici à l'été, médecins, experts, associations, mais aussi simples citoyens sont appelés à débattre sur des sujets variés, allant du don d'organes au handicap en passant par la recherche génétique, l'euthanasie ou la procréation médicalement assistée (PMA). Des rapports seront ensuite rendus au printemps au CCNE, avant une révision de la loi de bioéthique prévue pour l'automne.
Politiquement, le sujet est sensible pour la majorité La République en marche!. Deux questions, notamment, sont susceptibles de mettre le feu aux poudres : la PMA et la fin de vie. Sur ces deux thèmes, Emmanuel Macron a été jusqu'ici d'une prudence extrême, confinant parfois à l'indifférence. Et pour cause. Le président considère que ce ne sont pas des réformes prioritaires. Surtout, il estime que ce n'est pas nécessairement au politique de s'en emparer.
"Je ne me précipiterai pas pour légiférer". Ainsi, on ne trouve strictement rien dans son programme sur la fin de vie. Pas une ligne dans le résumé sous forme de livret, pas plus sur le site internet de LREM. Le 12 mars 2017, alors que la campagne présidentielle battait son plein, Emmanuel Macron assumait ce choix dans un entretien à La Croix. "Sur ce sujet, céder aux oukases des uns et des autres n'est pas une bonne chose", expliquait-il. Avant de se lancer dans un joli numéro d'équilibriste. "Il faut tirer les enseignements des cas spécifiques aujourd'hui débattus, respecter les convictions personnelles et religieuses de chacun, entendre aussi ce que disent les professionnels de santé."
" Je suis favorable à ce que ce débat [sur la fin de vie] avance mais je ne me précipiterai pas pour légiférer. "
Se disant "favorable à ce que ce débat [sur la fin de vie] avance", le candidat promettait qu'il ne se "précipiterai pas pour légiférer". Selon lui, mieux vaut en effet se référer au "cadre actuel de la loi [qui] permet déjà à chacun d'exprimer ses volontés". De fait, la loi Claeys-Leonetti de 2016 prévoit un droit à la "sédation profonde et continue" pour les malades en phase terminale, sans que le médecin puisse s'y opposer. Par ailleurs, les directives anticipées, ces consignes que l'on peut donner pour refuser tout acharnement thérapeutique, sont devenues contraignantes avec ce texte. "Il faut que [tout] cela soit expliqué et utilisé pleinement, ce qui n'est pas encore le cas", a expliqué Emmanuel Macron.
Plus disert sur la PMA. Sur la procréation médicalement assistée (PMA), le candidat Macron était un peu plus disert. Si rien ne figurait sur le sujet dans le livret programmatique, il en était question, en revanche, dans l'onglet "familles et société" de son programme en ligne. "Nous sommes favorables à l'ouverture de la procréation médicalement assistée pour les femmes seules et les couples de femmes", est-il écrit. La tournure employée pour justifier cette position est à la fois prudente et détachée de toute idéologie. "Il n'y a pas de justification juridique pour que la PMA ne soit pas ouverte" à toutes les femmes, précise le programme d'Emmanuel Macron. Néanmoins, "pour avancer de façon pédagogique, nous souhaitons attendre l'avis du CCNE, afin d'assurer dans la société un vrai débat, pacifié et argumenté".
Sans brusquer. L'avis du CCNE est tombé après l'élection d'Emmanuel Macron, le 27 juin dernier. Le Comité s'est dit favorable à l'ouverture de la PMA à toutes les femmes. Mais quoi qu'il en soit, cette formulation témoigne du souci permanent qu'a pu avoir le candidat, puis le président, de ne pas froisser une certaine frange conservatrice de la population. Celui qui était secrétaire général adjoint de l'Élysée en 2013, lorsque le mariage pour tous a jeté des centaines de milliers d'opposants dans la rue, a jugé à plusieurs reprises, a posteriori, que cette forte mobilisation était due à la mauvaise gestion du dossier par le gouvernement de l'époque et François Hollande. "Je suis un défenseur du mariage pour tous, en même temps j'entends les voix qui se sont élevées", a-t-il répété, toujours dans La Croix. "Les interrogations sincères de personnes dont les convictions religieuses ou politiques n'étaient pas conformes au choix final. Il faut savoir entendre, laisser place au dissensus et non l'écraser."
" Il faut sortir d'une espèce de dogme où le politique pourrait décider de tout et aurait vocation à trancher des sujets éthiques, sociétaux. "
Il y a près d'un an, Emmanuel Macron expliquait aussi à L'Obs que l'"une des erreurs fondamentales de ce quinquennat [celui de Hollande] a été d'ignorer une partie du pays. C'est ce qui s'est passé avec le mariage pour tous, où on a humilié cette France-là. Il ne faut jamais humilier, il faut parler, il faut 'partager' des désaccords". À l'époque, ces propos avaient suscité un véritable tollé, le candidat étant accusé de soutenir la Manif pour tous.
Oui à la PMA, non à la GPA. Ultime preuve de l'extrême prudence qui retient Emmanuel Macron : tout propos sur la PMA s'accompagne systématiquement de dénégations sur la gestation pour autrui (GPA). À Causette, en février, le candidat précisait bien qu'il n'était "pas favorable à la légalisation de la GPA, qui pose une question sur la dignité du corps de la femme". Une réponse aux nombreux opposants à la PMA qui, très souvent, font un lien direct entre la procréation médicalement assistée et la gestation pour autrui. Par ailleurs, comme il le faisait avec la PMA, Emmanuel Macron s'appuie aussi sur des arguments strictement juridiques pour justifier la reconnaissance des enfants issus de la GPA pratiquée à l'étranger. "Nous assurerons qu'[ils] voient leur filiation reconnue à l'état-civil français, selon la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l'Homme", est-il écrit sur son site internet.
Je ne suis pas favorable à la légalisation de la GPA, qui pose une question sur la dignité du corps de la femme. #CausettePrésidentepic.twitter.com/6iPBGJfR8v
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) 16 février 2017
Beaucoup de coups à prendre. La prudence généralisée du candidat, puis du président Macron, s'explique aisément. Il y a sur ces sujets beaucoup de coups à prendre et peu de bénéfices à tirer. François Hollande l'a appris à ses dépens avec le mariage pour tous qui, voté en début de quinquennat, lui a aliéné durablement une partie de l'opinion, sans pour autant que l'autre lui soit acquise. Par ailleurs, tout comme son prédécesseur, Emmanuel Macron a peu d'appétence pour ces sujets et l'assume. Les questions éthiques de société "ne sont pas prioritaires sur le plan de l'action politique", estimait-il dans La Croix en mars. "La priorité est dans la transformation économique et sociale du pays, dans la modernisation de l'action publique et dans une initiative forte au niveau européen."
Une certaine vision du rôle de président. Enfin, Emmanuel Macron rechigne à ce que le politique traite de tout, tout le temps. "Il faut sortir d'une espèce de dogme où le politique pourrait décider de tout et aurait vocation à trancher des sujets éthiques, sociétaux, parfois anthropologiques", défendait-il dans le quotidien catholique. "Le rôle d'un président de la République est de donner un cadre aux débats sur ces sujets et de s'assurer que la société mûrit." Le 22 septembre dernier, face aux représentants des cultes, le président a répété la même chose : "la manière que j'aurai d'aborder ces débats ne sera en rien de dire que le politique a une prééminence sur vous et qu'une loi pourrait trancher ou fermer un débat qui n'est pas mûr."