"Une campagne à bas bruit" qui semble "n'avoir jamais démarré", "un sentiment de malaise des électeurs": à 15 jours du 1er tour de l'élection présidentielle, Adélaïde Zulfikarpasic, directrice de BVA Opinion, estime que "peut-être tout va se jouer dans les deux prochaines semaines".
Les deux derniers semaines de campagne pourraient-elles compter double ?
Adélaïde Zulfikarpasic : "A deux semaines des élections, quatre électeurs sur 10 sûrs d'aller voter (ndlr : on ne parle pas des abstentionnistes potentiels) sont encore dans l'hésitation. Soit un indice de volatilité de 39%. A la même échéance en 2017, il était de 38%. Cette hésitation en fin de parcours n'est donc pas propre à 2022, en revanche c'est quelque chose qui monte en puissance.
Une des raisons, c'est que ce qu'on appelait dans la sociologie politique classique, les déterminants du vote, ont changé. On a des choix de moins en moins déterminés par des appartenances collectives et plus par des vécus individuels, et puis vous avez aussi un facteur émotionnel de plus en plus fort et une influence des réseaux sociaux, d'une actualité qui bombarde les gens, qui font que de plus en plus les électeurs sont dans une décision tardive.
Là ce qui est plus frappant, c'est que cet indice de volatilité est corrélé pour cette élection à un indicateur de participation et un indicateur d'intérêt pour l'élection plutôt plus faibles que d'habitude. Et surtout fluctuants. Je crois que ça témoigne d'un sentiment de malaise des électeurs par rapport à cette campagne qui est très atypique. C'est comme si elle n'avait jamais démarré."
La campagne trop absente ?
Adélaïde Zulfikarpasic : "Ce serait un petit peu radical ( de dire qu'il n'y a pas eu de campagne) dans la mesure où on a quand même des candidats qui essaient d'exister, qui font des propositions, qui ont des programmes, des militants qui tractent sur les marchés. Mais c'est vrai que ça me semble beaucoup plus à bas bruit que pour une campagne normale. Campagne à bas bruit, campagne en sourdine, toute petite campagne.
Guerre en Ukraine, absence de débat, sentiment aussi que les choses sont jouées (et les sondages jouent un rôle dans ce sentiment), qu'il n'y a pas beaucoup de suspense, tout ça mis bout à bout n'est pas de nature à mobiliser les foules. Je dis que peut-être tout va se jouer dans les deux prochaines semaines, qu'elle vont compter double, parce que j'ose espérer qu'il va y avoir une accélération, que les hésitants vont se mettre à lire les programmes, les comparer.
Les grands rapports de force dessinés par les sondages pourraient-ils bouger ?
Adélaïde Zulfikarpasic : "Honnêtement pour qu'Emmanuel Macron ne soit pas qualifié au second tour, il faudrait non pas un, mais deux, trois, une accumulation d'événements de campagne majeurs. Marine Le Pen est celle qui est sur la dynamique la plus ascendante, en plus elle bénéficie de la dynamique descendante d'Éric Zemmour. La seule vraie question à mon sens aujourd'hui, c'est de savoir si, oui ou non, Jean-Luc Mélenchon peut créer la surprise. Sur le papier il pourrait.
Mais Marine Le Pen a aussi encore du potentiel. Il faudrait pour que Jean-Luc Mélenchon arrive au second tour que non seulement lui-même arrive à engranger tous les hésitants de gauche, sur la base du vote utile en particulier, mais qu'en même temps la candidate du Rassemblement national voit elle sa dynamique stoppée. Je ne pense pas que ce soit le plus probable."