Le décès du groupe écologiste à l'Assemblée nationale a été constaté jeudi. Six députés, François de Rugy (Loire-Atlantique), Véronique Massonneau (Vienne), Paul Molac (Morbihan), Eric Alauzet (Doubs), Christophe Cavard (Gard) et François-Michel Lambert (Bouches-du-Rhône) ont en effet décidé de rejoindre les députés socialistes. Ne comptant plus que dix membres au lieu des 15 minimums requis, le groupe écologiste a donc disparu. Cette nouvelle crise prive les députés Europe Ecologie-Les Verts de moyens et de temps de parole. Elle affaiblit aussi considérablement Cécile Duflot et une candidature éventuelle de l'ancienne ministre à la présidentielle de 2017.
Chronique d'une disparition annoncée. Cette rupture était pourtant prévisible. Le groupe écologiste avait pu être formé en 2012, grâce aux accords passés par Europe Ecologie-Les Verts avec le Parti socialiste pour les législatives. En 2014, l'arrivée de Manuel Valls à Matignon et la sortie des écologistes du gouvernement fait émerger deux tendances au sein du groupe. Certains députés restent loyaux à l'exécutif tandis qu'une dizaine d'entre eux, autour de Cécile Duflot, basculent dans l'opposition. Les élus surmontent cette première crise en actant le principe d'une coprésidence pour représenter les uns et les autres.
C'est finalement l'affaire Baupin qui va précipiter la chute du groupe écologiste. François de Rugy, désigné pour remplacer l'élu à la vice-présidence de l'Assemblée, quitte la coprésidence du groupe, qu'il assurait avec Cécile Duflot. Le nom de Véronique Massoneau est proposé par les "réformistes" autoproclamés pour lui succéder, mais les proches de l'ancienne ministre du Logement s'y opposent. Mardi, Cécile Duflot va jusqu'à retweeter un journaliste qui affirme qu'elle est désormais "la seule présidente du groupe écolo".
RT @S_LeGoff: #directAN@FdeRugy est le nouveau vice président de l'assemblée et @CecileDuflot est la seule présidente du groupe écolo
— Cécile Duflot (@CecileDuflot) 17 mai 2016
Deux jours plus tard, le divorce est acté. Dans le communiqué annonçant leur ralliement au groupe socialiste, les transfuges écologistes dénoncent une "remise en cause" de la "pluralité qui fondait l'existence d'un groupe écologiste autonome".
Perte d'influence à l'Assemblée. Pour Cécile Duflot, le coup est rude. Sans groupe à l'Assemblée, il est difficile de se faire entendre. "C'est un véritable handicap en termes de visibilité parlementaire, vous perdez votre représentation dans les débats majeurs de politique générale", explique Jean Garrigues, historien spécialiste d'histoire parlementaire. De fait, les élus non inscrits n'ont droit de poser qu'une question au gouvernement tous les deux mois et ne sont pas représentés au Bureau de l'Assemblée nationale. Or, cette instance a "tous pouvoirs pour régler les délibérations de l'Assemblée et pour organiser et diriger tous les services", stipule le règlement de l'Assemblée. Les places au sein des huit commissions permanentes sont également distribuées en fonction du nombre de députés. Les non inscrits sont servis les derniers. En outre, ils ne disposent pas de secrétariat administratif et doivent donc se passer de certains collaborateurs.
En perdant sa place de présidente de groupe, "Cécile Duflot est personnellement impactée", note Jean Garrigues. "Elle ne peut plus siéger à la Conférence des présidents, qui joue un rôle très important", notamment dans la répartition du temps de parole. La députée perd également la possibilité de réclamer une suspension de séance ou un scrutin public. L'explosion du groupe écologiste réduit donc à la fois les prérogatives collectives des députés et celles, individuelles, de Cécile Duflot.
" En termes de légitimité par rapport aux Verts, Cécile Duflot est forcément affaiblie. "
Cécile Duflot cherche à "sauver le groupe". Pour se sortir de l'impasse, l'ancienne ministre du Logement et les neufs élus qui restent avec elle ont deux solutions. Ils peuvent d'abord décider de se rallier à un groupe déjà existant, comme celui des communistes, présidé par André Chassaigne. Ce dernier a d'ailleurs indiqué que "sa porte restait ouverte". Mais selon l'entourage de Cécile Duflot, celle-ci serait plutôt tentée de "voir si d'autres parlementaires peuvent [les] rejoindre" pour conserver un groupe. "Il en faut cinq, c'est envisageable : des non inscrits, des frondeurs, des ultramarins… Cécile Duflot est en train de voir comment sauver le groupe", indiquait-on jeudi.
"Coup de force" de Duflot. Reste que cette crise est politiquement désastreuse pour Cécile Duflot. Une fois de plus, les élus écologistes autoproclamés "réformistes", proches du gouvernement, dénoncent une "dérive sectaire" au sein d'Europe Ecologie-Les Verts. Selon eux, c'est bel et bien l'attitude de sa coprésidente qui a précipité la disparition du groupe. "Cécile Duflot a voulu prendre le pouvoir", a ainsi regretté, vendredi sur Radio Classique, l'ancienne EELV Barbara Pompili. Celle qui est entrée au gouvernement en février dernier dénonce un "coup de force" de l'ancienne ministre du Logement.
Sa candidature fragilisée. Cette dernière n'avait pas besoin de cela. Si elle n'a pas encore officialisé sa candidature, la députée a indiqué qu'elle "se prépare" pour la présidentielle de 2017. Mais sa campagne était déjà rendue très difficile par les crises successives de son parti. EELV, qui ne compte plus que 6.000 adhérents selon nos informations, voit ses élus déserter en masse depuis deux ans. Avec leur départ, ce sont aussi des subventions publiques et des cotisations qui échappent à la formation. Pour couronner le tout, EELV enchaîne les défaites électorales. L'explosion du groupe écologiste à l'Assemblée, qui la prive d'une exposition politique et médiatique importante dans l'hémicycle, fragilise donc un peu plus Cécile Duflot. Même si, nuance Jean Garrigues, "il est moins important, dans la culture des Verts, d'être issu du sérail parlementaire pour se présenter à la présidentielle". Eva Joly par exemple, candidate EELV en 2012, n'a jamais siégé dans l'hémicycle. "Ce qui nuit à Cécile Duflot, c'est d'avoir en face d'elle une autre ligne", estime l'historien. "En termes de légitimité par rapport aux Verts, elle est forcément affaiblie."
Disparition du groupe écolo à l'AN. Les partants prêtent simplement main forte au #PS. Objectif: faire taire toute voix discordante. #EELV
— Esther Benbassa (@EstherBenbassa) 19 mai 2016
"Un coup de Hollande". À tel point que ses proches soupçonnent même le gouvernement d'être à la manœuvre. "C'est un coup de Hollande pour faire péter le dernier parti qui pourrait présenter un candidat en 2017", grince l'entourage de l'ancienne ministre, pour qui le président tente de limiter l'opposition sur sa gauche à Jean-Luc Mélenchon. "La première lame, c'était d'intégrer des écologistes au gouvernement. La deuxième, c'est de casser le groupe à l'Assemblée." Des accusations balayées par Barbara Pompili. "Il n'y a absolument pas eu de pression quelconque de l'Élysée sur ces questions-là. L'écologie politique est capable toute seule de se diviser." Elle l'a d'ailleurs prouvé à plusieurs reprises ces derniers mois.