Suscitant les craintes des élus du Sénat et de l'Assemblée, notamment du côté de LR et de la France insoumise, le projet de loi constitutionnelle a été présenté mercredi en Conseil des ministres, avant son examen au Parlement. Si la réduction de 30% du nombre de parlementaires, la limitation du cumul à trois mandats identiques dans le temps et la dose de 15% de proportionnelle figurent dans des projets de loi organique et simple, qui devraient être présentés dans deux semaines, plusieurs évolutions importantes sont présentes dans le texte.
Suppression de la Cour de justice de la République.La Cour de justice de la République, créée en 1993 et chargée de juger les ministres dans l'exercice de leurs fonctions, doit être supprimée au profit de la cour d'appel de Paris. Mais un filtre est prévu : les membres du gouvernement ne pourront "faire l'objet d'une enquête ou être poursuivis" qu'après "autorisation d'une commission des requêtes". Cette commission pourra être "saisie par le ministère public, la juridiction d'instruction ou la personne qui se prétend lésée".
Il est aussi prévu de graver dans le marbre que les magistrats du parquet sont nommés par l'exécutif "sur l'avis conforme" du Conseil supérieur de la magistrature, comme actuellement pour les juges. Le CSM est un organe indépendant, dont la composition ne sera pas modifiée.
Plus de présence à vie au Conseil Constitutionnel pour les anciens présidents. Disposition symbolique : les anciens présidents de la République ne pourront en outre plus être membres à vie du Conseil constitutionnel. La mesure ne s'appliquera cependant pas aux anciens présidents ayant siégé au cours de la dernière année, soit au seul Valéry Giscard d'Estaing qui pourra continuer à se rendre au Palais Royal.
Limitation des amendements. Au nom de "l'efficacité" du processus législatif, doivent être interdits dès leur dépôt les propositions et amendements hors du domaine de la loi, sans "lien direct avec le texte" ou sans "portée normative". L'adoption des textes de loi sera plus rapide en l'absence d'accord entre députés et sénateurs réunis en commission mixte paritaire : dans des délais restreints, le Sénat puis l'Assemblée qui a le dernier mot se prononceront, ce qui supprime une lecture au Sénat. Le calendrier budgétaire sera accéléré: 50 jours (au lieu de 70) pour l'adoption du budget de l'État, qui pourra être examiné conjointement avec le budget de la Sécurité sociale.
Les textes jugés urgents par le gouvernement en matière de "politique économique, sociale ou environnementale" seront inscrits prioritairement à l'ordre du jour. Et, sur le modèle d'une pratique du Sénat, des textes ou parties de texte pourront être adoptés dès l'examen en commission.
Une évolution à minima des pouvoirs d'évaluation du Parlement. En conséquence de la baisse du nombre de parlementaires, 40 députés ou 40 sénateurs (contre 60 aujourd'hui) pourront saisir le Conseil constitutionnel d'une loi avant sa promulgation.
En contrepartie des marges de manœuvre accrues pour l'exécutif, le Parlement devait voir ses pouvoirs d'évaluation et de contrôle renforcés mais le texte ne prévoit qu'un volet a minima, avec l'établissement d'un programme de travail chaque trimestre.
Collectivités territoriales et Corse. Les collectivités territoriales pourront déroger aux lois fixant leur compétences de manière pérenne et non plus seulement à titre expérimental. Un nouvel article 72-5 doit aussi entériner le statut particulier de la collectivité de Corse créée en 2015, ce qui est une des rares revendications nationalistes retenues par Emmanuel Macron. Lois et règlements pourront "comporter des règles adaptées aux spécificités liées à son insularité", sur décision de la collectivité mais dans des conditions strictes. L'interdiction de cumuler les fonctions de ministre et président d'exécutif local doit être entérinée.
Le Cese évolue. Le Conseil économique, social et environnemental (Cese) sera rebaptisé "Chambre de la société civile" et le nombre de ses membres sera réduit de moitié, à 155 "représentants de la société civile". Cette chambre sera toujours le réceptacle des pétitions citoyennes et aura une mission de consultation du public.
Enfin, le principe de "lutte contre les changements climatiques" sera inscrit à l'article 34 de la Constitution, qui fixe le domaine de la loi.
Édouard Philippe promet une réforme "ni pour abaisser" ni pour "élever"
La réforme constitutionnelle n'a pour objectif "ni d'abaisser certains ni d'élever d'autres", a affirmé Édouard Philippe en réponse aux craintes exprimées au Sénat et à l'Assemblée. L'objectif "n'est pas de transformer les équilibres issus de la Ve République. Il ne s'agit pas de revenir à la IVe, il ne s'agit pas d'inventer une hypothétique VIe République, il s'agit (...) de revenir à l'esprit originel" de la Constitution de 1958, a déclaré le Premier ministre à l'issue du conseil des ministres.
"Il s'agit d'avoir une forme d'efficacité réciproque entre le Parlement et le gouvernement. Nous devons travailler ensemble et la qualité de notre travail collectif qui sert la démocratie n'a d'intérêt que si ce travail est efficace", a-t-il insisté.