Gérald Darmanin a tenté jeudi de désamorcer l'hostilité des policiers à la réforme de la police judiciaire en recevant leurs cadres, mais sa volonté de maintenir le cœur du projet n'a fait que la renforcer, selon des témoignages recueillis par l'AFP. Les deux parties ont toutefois convenu d'une nouvelle réunion "dans un mois", selon l'entourage du ministre de l'Intérieur et des participants, au cours de laquelle les responsables de la PJ devront présenter des propositions d'amendement.
Beaucoup de propositions "rejetées" pour la réforme
"C'est honteux", s'est insurgé un enquêteur de la PJ sous couvert d'anonymat en soulignant que beaucoup de propositions avaient déjà été faites lors des groupes de travail sur la réforme. "Mais toutes ont été rejetées", a-t-il rappelé. Un participant a préféré voir le bon côté des choses avec "un échange assez franc" et "un geste important" du ministre qui les a reçus, ce qu'il n'avait jamais fait auparavant. Pour autant, a-t-il ajouté, "nous avons bien compris que la réforme irait jusqu'à son terme".
Concrètement, rien n'a bougé alors que la réforme de la PJ, expérimentée dans trois puis cinq nouveaux départements, doit être généralisée en 2023. Le projet, porté par le ministre de l'Intérieur et le Directeur général de la police nationale Frédéric Veaux prévoit de placer tous les services de police d'un département - renseignement, sécurité publique, police aux frontières (PAF) et police judiciaire - sous l'autorité d'un seul Directeur départemental de la police nationale (DDPN), dépendant du préfet. Actuellement, chaque service rend des comptes à sa hiérarchie.
Un directeur unique pour tous les métiers de la police
Jeudi, le ministre a répété son attachement à l'échelon départemental et à la création d'un directeur unique pour tous les métiers de la police, ce qui a été ressenti par les participants comme une fin de non-recevoir. Les policiers de la PJ en ont fait une ligne rouge. Pour eux, l'échelon départemental n'a pas de sens en terme de lutte contre la criminalité organisée. Ils craignent une dilution de leur spécificité et la fin de leur indépendance vis-à-vis du pouvoir administratif.
Au mois d'août, ils se sont organisés pour tirer la sonnette d'alarme en créant une association "apolitique" et "sans étiquette syndicale" : l'Association nationale de la police judiciaire (ANPJ). Les policiers ont reçu depuis l'appui de magistrats, à commencer par François Molins, l'un des plus hauts magistrats du pays. Mercredi, ce dernier a dit tout le mal qu'il pensait d'un texte qui "ne va pas dans la bonne direction" et "aura des "conséquences désastreuses pour la sécurité des citoyens et l'indépendance de la justice".
Darmanin "ne s'imagine pas l'ampleur du malaise"
Jeudi, la Première ministre a semblé entendre la colère des enquêteurs de la PJ. "Il y a des inquiétudes qui ont été exprimées, il va bien sûr falloir y répondre", a-t-elle dit. "Ça va très mal finir", prédit un enquêteur, pour qui Gérald Darmanin "ne s'imagine pas l'ampleur du malaise". "On court à la catastrophe. Il vaudrait mieux qu'il dise tout de suite qu'on renonce à traiter la criminalité organisée dans ce pays".
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Un membre de l'ANPJ promet de nouvelles mobilisations, tribunes ou pétitions pour faire comprendre au ministre qu'il ne s'agit "pas d'une fronde" mais d'une "opposition, un malaise, une grande inquiétude". "Nous sommes le dernier rempart contre la mafia", assure-t-il. Le patron de la police, Frédéric Veaux, qui a fait toute sa carrière dans la PJ et pilote la réforme, concentre les critiques les plus dures. Certains dénoncent son "autisme" sur le dossier.
"Il est logique que la PJ s'inquiète et se batte, par crainte d'être dissoute dans le grand tout des enquêtes sur les petites infractions rapides et rentables à élucider", confie une source proche du gouvernement, "il faut qu'ils obtiennent des garanties". Si certains participants à la réunion jeudi préféraient nourrir l'espoir que M. Darmanin revienne sur ses positions, d'autres n'y croyaient pas, car la réforme est "écrite depuis longtemps". Elle a en outre été soutenue avec force par Emmanuel Macron lors de sa campagne présidentielle.