Des victoires étonnantes dans la plupart des départements d'outre-mer. Au second tour de l'élection présidentielle de 2022, Marine Le Pen a nettement devancé Emmanuel Macron en Martinique (60,87%), en Guadeloupe (69,60%), en Guyane (60,87%) ou encore à La Réunion (59,57%). Des résultats d'autant plus surprenants que ces territoires s'étaient largement mobilisés pour Jean-Luc Mélenchon lors du premier tour, alors que l'Insoumis avait appelé ses électeurs à ne pas donner une seule voix à Marine Le Pen. Dans Europe Matin lundi, deux experts analysent les raisons de ce plébiscite.
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"Cela nous dit jusqu'où la colère peut aller"
"C'est un vote de colère", avance d'abord Jérôme Jaffré, politologue et chercheur associé au Cevipof, au micro de Sonia Mabrouk. "Cela nous dit jusqu'où peut aller la colère", poursuit le politologue. "Aux Antilles en 2002, c'était 93% des voix pour Jacques Chirac (contre Jean-Marie Le Pen). En 2017, c'était plus de 70% des voix pour Emmanuel Macron contre Marine Le Pen. Et hier (dimanche), c'était l'inverse. C'est la jonction des extrêmes contre le bloc central, contre le pouvoir", expose Jérôme Jaffré.
Ce vote massif pour la candidate du Rassemblement national est aussi "un vote anti-vaccin très clairement", quelques mois après les grandes tensions qui ont éclaté notamment en Guadeloupe ou en Martinique. "On voit qu'il y a un risque pour le pouvoir politique des prochaines années, c'est que ce mécanisme qui s'est fait aux Antilles puisse s'étendre éventuellement vers la métropole", estime le chercheur associé au Cevipof sur Europe 1.
Une fronde sur la chlordécone et les vaccins anti-Covid
Ces différents résultats électoraux montrent que le front républicain n'a pas fonctionné dans les Antilles et dans d'autres territoires d'outre-mer. "La colère aux Antilles est juste", assure pour sa part Michel Wieviorka, sociologue, auteur du livre Alors Macron, Heureux ? sur Europe 1. "La colère a aussi à voir avec l'insecticide, le chlordécone, utilisé dans les bananeraies. On utilise un produit qui a des effets toxiques évidents et, quelques jours avant le premier tour, le procès de ceux qui ont des responsabilités dans cette affaire aboutit à un acquittement", rappelle-t-il.
Pour lui, "la population se sent non seulement méprisée, mais tellement méprisée que sa vie-même ne semble pas compter." Michel Wieviorka aborde également la défiance vis-à-vis des vaccins anti-Covid. "On ne peut pas traiter la grande majorité de ceux qui pensent autrement, en disant qu'ils sont dans l'absurde, dans le non-sens, dans l'irrationalité. C'est ce qu'ont vécu, avec un grand sentiment d'injustice, les antivax. Donc, on risque d'avoir d'autres affaires de ce genre", conclut le sociologue.