L'épidémie d'Ebola n'est toujours pas terminée en Afrique de l'Ouest. Des trois pays les plus touchés par le virus, seul le Liberia a réussi à se débarrasser de la maladie. Au total, selon des chiffres de début juin, plus de 11.000 personnes ont été tuées dans la pire épidémie depuis la découverte de la maladie en 1976. Peter Piot, codécouvreur du virus, était l'invité jeudi d'Europe 1. Il se souvient du moment où son laboratoire a "reçu une Thermos bleue" envoyée de Kinshasa, l'actuelle capitale de la République démocratique du Congo.
Un virus "qui ressemble à un ver". "J'étais encore en formation en microbiologie à l'Institut de médecine tropicale d'Anvers, en Belgique", raconte le chercheur. Dans le contenant venu d'Afrique, son laboratoire s'attend à trouver "deux échantillons de sang d'une sœur missionnaire morte d'une maladie inconnue. On pensait qu'il s'agissait de la fièvre jaune". Mais lorsque les chercheurs ouvrent la Thermos, "un des tubes avait cassé". Il faut dire qu'"à l'époque, tout était en verre, et non en plastique" comme aujourd'hui.
En n'ayant "aucune idée de ce dont il pouvait s'agir", les scientifiques commencent leur travail pour "isoler ce virus". "Après quelques jours à avoir inoculé des souris ou encore des cellules, nous avons visualisé un virus sous microscope électronique", se souvient précisément Peter Piot. L'aspect du virus, qui ressemble davantage à un ver, étonne les chercheurs : "Normalement, les virus sont ronds ou carrés. Celui-là ressemblait à un ver."
Beaucoup de chance de ne pas être contaminé. Peter Piot rappelle cette évidence : "En 1976, Internet n'existait pas. Nous devions voir dans un atlas à la bibliothèque" pour savoir de quel virus il pouvait s'agir. "On s'est dit que ça ressemblait au virus "Marburg" qui avait tué des gens en Allemagne", relate-t-il. A ce moment, l'équipe de chercheurs comprend qu'ils sont face à un virus mortel. L'OMS les met en garde immédiatement et leur demande d'arrêter toute recherche. Les scientifiques désobéissent : "Nous avons continué pendant 24h et on a identifié qu'il s'agissait d'un nouveau virus."
Aujourd'hui, Peter Piot concède avoir "eu de la chance" de ne pas être contaminé. Lors de son voyage en République démocratique du Congo (le Zaïre à l'époque), le scientifique avait très peu d'expérience. Dans cette équipe internationale de chercheurs, "j'étais le plus jeune, je n'avais jamais mis les pieds en Afrique, je n'avais aucune expérience sur les épidémies". Avec les membres de son équipe, ils cherchent donc à comprendre le mode de transmission d'Ebola: "On faisait attention, mais [le niveau de protection] n'était pas comme ce que l'on voit à la télévision", se souvient-il. 40 ans plus tard, le virus Ebola garde encore ses mystères. Avec l'épidémie de 2014-2015, la recherche a beaucoup avancé et le rôle d'une protéine dans le développement de la maladie laisse place à un peu d'espoir pour mettre au point un médicament.
Peter Piot, directeur de la London School of Hygiene & Tropical medicine, codécouvreur du virus Ebola et auteur de Une course contre la montre : mes combats contre les virus Sida et Ebola (Ed. Odile Jacob)