Hépatite C : peut-on payer moins cher les traitements ?

© FRANCOIS NASCIMBENI / AFP
  • Copié
, modifié à
En France, seuls les cas les plus graves bénéficient d'un remboursement. Le hic : les traitements les plus efficaces coûtent minimum 39.000 euros. 

Le traitement contre l'hépatite C, une maladie transmissible par le sang qui peut dégénérer en cirrhose mortelle, a connu une révolution ces trois dernières années. Aujourd'hui, certains traitements, les "antiviraux à action directe (AAD)", guérissent les patients dans 90 à 95% des cas, parfois même au bout de 12 semaines seulement, le tout quasiment sans effets secondaires. Le problème ? Ces traitements coûtent entre 40.000 et 120.000 euros, selon la combinaison de molécules et la durée nécessaire au traitement.

Confronté à un tel coût, le gouvernement a décidé, en 2014, que la Sécurité sociale ne rembourserait que les malades présentant un délabrement du foie avancé. Un "rationnement" que dénonce cette semaine un collectif d'associations, dont Médecins du monde (MDM), Aides ou encore SOS hépatites Fédération. Selon eux, cette sélection peut s'avérer désastreuse pour les patients exclus des traitements. Mais peut-on baisser les prix ? Décryptage.

" On m'a dit que je n'étais pas assez malade "

En France métropolitaine, selon une étude publiée mardi par les associations, 50.000 malades de l'hépatite C seraient en attente de traitement, sans compter ceux qui ont été découragés à la première consultation. D'après les associations, les patients exclus du remboursement de la Sécu seraient d'ailleurs de plus en plus nombreux à se fournir sur des "marchés parallèles", où ils pourraient se procurer des traitements AAD à partir de 550 euros, contre minimum... 39.114 euros en France, pour être tout à fait précis. "L’importation de médicaments à titre individuel pose des problématiques de contrefaçon potentielle et d’inégalité d’accès", dénonce le collectif dans un communiqué.

Un risque d'autant plus grand que l'hépatite C peut fortement affecter les conditions de vie des malades, même lorsque le délabrement du foie n'est pas suffisamment avancé pour accéder aux soins : la maladie peut occasionner fatigue, douleurs et dégradation de la qualité de vie. Cité par l'AFP, Frédéric, qui a découvert récemment qu'il était atteint d'hépatite chronique, témoigne : " Mon spécialiste  m'a dit que je n'étais pas encore assez malade. Mais depuis un mois et demi je ne peux plus travailler. Je m'endors sur le bureau. J'essaye de travailler un peu par téléphone. Mais je n'arrive pas à réfléchir". En outre, "plus on traite tard, plus il y a de risque de cancer du foie dans les dix années", renchérit le Dr Olivier Maguet, membre de MDM. 

" On dispose d'un outil légal pour faire baisser les prix "

Les associations demandent donc au gouvernement d'élargir l'accès aux AAD à tous les patients. Pour ne pas creuser le trou de la Sécu, elles demandent à l'exécutif d'entamer une politique ambitieuse de réduction des prix, et d'utiliser tous les moyens légaux pour ça. "Le gouvernement dispose en effet d’un outil légal puissant pour faire baisser le prix et rendre ainsi ces traitements accessibles à tous. Il s’agit de la licence d’office, une disposition explicitement prévue par l’Organisation mondiale du Commerce (OMC)", écrit le collectif. Cette disposition permet en effet à un Etat d'imposer l'importation et d'autoriser la production d'un médicament générique, moins cher, même si ce médicament est déjà breveté par un laboratoire, si "l'intérêt de la santé publique l'exige".

En France, pour l'heure, les traitements AAD sont brevetés par deux laboratoires: Gilead et Abbvie. Selon les estimations, les prix que ces derniers pratiquent en France seraient 200 à 260 fois plus élevés que les coûts de fabrication. Certes, ces chiffres ne tiennent pas compte des coûts de la recherche, qui ne sont pas connus. Mais cela n'empêche pas les laboratoires de faire certaines concessions dans d'autres pays : en Inde, Gilead a accordé des licences pour la production d'AAD sous forme de génériques. Résultat : certains traitements devraient s'y vendre à… 90 euros, contre minimum 40.000 en France.

Pour justifier le prix de leur traitement dans les pays industrialisés, les laboratoires avancent l'argument de l'efficacité des traitements.:Ceux-ci réduisent la durée de prise en charge des maladies, et cela fait faire des économies à la Sécu sur le long terme. "Ces produits sont des médicaments qui guérissent réellement de l'hépatite C. Ils évitent donc qu'un malade prenne un traitement certes moins cher, mais sans interruption. Le coût paraît donc élevé sur la durée du traitement mais si on raisonne à dix ans, les laboratoires peuvent justifier d'un gain pour la Sécurité sociale. Cet argument tire nécessairement les tarifs vers le haut", décrypte pour Le Figaro Frédéric Bizard, économiste de la Santé.

" Le prix le plus bas d'Europe "

Quant à l'ouverture des brevets aux médicaments génériques, les laboratoires refusent d'en entendre parler. Selon eux, le brevet permet de leur assurer une certaine source de revenu en fixant un "juste prix", ce qui leur servira à faire avancer la recherche. Dans cette logique, si l'Inde bénéficie d'un traitement de faveur, c'est pour garantir un meilleur accès au soin dans un pays où le système de santé n'est pas aussi efficace que le nôtre.

"La prise en charge des patients ne pourra pas uniquement reposer sur des médicaments à bas prix", explique Gregg Alton, directeur général adjoint chez Gilead, dans une interview au site OMPI, spécialisé dans la propriété industrielle. Pour favoriser la recherche sans faire flamber les prix, ce dernier en appelle même à plus de mobilisation financière des gouvernements.

"Nous avons de solides ressources chez Gilead en termes de recherche-développement, d’activité réglementaire, de développement clinique et de fixation des prix. Mais au bout du compte, pour concrétiser tous nos efforts, nous avons besoin que les gouvernements nationaux et les bailleurs de fonds internationaux se mobilisent", assure le dirigeant. Pour rappel, Gilead, principal acteur du marché, a vu son chiffre d'affaires reculer de 2,6% au dernier trimestre, en raison de ventes décevantes de ses traitements contre l'hépatite C. Il avait toutefois enregistré des ventes record en 2014, et en 2015, grâce à la sortie de ses AAD.

Interpellé régulièrement sur la question, par les laboratoires comme par les partisans d'une baisse des prix, le gouvernement a, pour l'heure, réagi timidement. En 2014, après plusieurs semaines de négociations, le ministère de la Santé avait réussi à ramener le prix moyen du Sovaldi, le composant le plus important des traitements, à 488 euros le comprimé, contre 650 euros à l'origine. Le ministère avait alors vanté "le prix le plus bas d'Europe". Mais il est loin d'avoir convaincu les associations, et les patients.