"Un scandale environnemental". Emmanuel Macron a reconnu jeudi la responsabilité de l’État dans la pollution au chlordécone, aux conséquences dramatiques dans les Antilles. Ce pesticide, utilisé en Martinique et en Guadeloupe de 1972 à 1993, a non seulement contaminé des milliers d’hectares de sols, mais il est aussi soupçonné d’être responsable d’une explosion des cancers de la prostate. Pourtant, des alertes sur la dangerosité du chlordécone ont été signalées dès les années 1970, notamment aux États-Unis. Pourquoi, alors, la France a-t-elle attendu 1993 pour interdire ce perturbateur endocrinien ? En Martinique et en Guadeloupe, la question n’a pas fini de hanter la population.
- En quoi est-il dangereux ?
Le chlordécone est un pesticide utilisé dans les Antilles jusqu’en 1993 pour lutter contre le charançon du bananier, un insecte ravageur de végétaux. Les conséquences de son utilisation ont été catastrophiques, d’abord sur le plan environnemental. Le pesticide a contaminé des milliers d’hectares en Martinique et en Guadeloupe, dont une grande partie de la surface agricole (certaines études estiment jusqu’à 20.000 hectares). Facteur aggravant : le chlordécone peut rester jusqu’à 600 ans dans les sols, et a désormais contaminé les légumes-racines (patates douces, carottes…), les poissons, le bétail et même l’eau. Certaines zones de pêche ont même dû être interdites pour prévenir tout danger.
La population n’a, elle, pas été épargnée. "Plus de 90%" de la population adulte en Guadeloupe et en Martinique est contaminée, selon les résultats d’une étude de l’agence santé publique France rendus en janvier. Le produit est notamment soupçonné d'être responsable d'une explosion des cancers de la prostate, avec un taux de mortalité deux fois supérieur dans les Antilles par rapport à la France métropolitaine (28 pour 100.000 habitants, contre 13), selon une étude de l’Inserm datant de 2009. "Les Antilles sont champions du monde des cancers de la prostate", s'alarme André Cicoletta, toxicologue interrogé en juin dernier par l'AFP. Le chlordécone a également un impact sur des troubles de comportement des enfants et augmente le risque de prématurité.
- Pourquoi est-ce un "scandale" ?
En France, le chlordécone a été interdit en 1990, mais il a été autorisé par dérogation jusqu’en 1993 dans les Antilles. Pourtant, ses effets néfastes ont été pointés du doigt dès les années 1970. Aux États-Unis, le chlordécone a été interdit dès 1976, un an après la fermeture d’une usine de production à la suite de l’intoxication de travailleurs et d’une pollution importante de l’environnement. Il est même classé substance cancérogène possible par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) dès 1979.
En France, deux rapports publiés à la fin des années 1970 ont alerté sur sa dangerosité, mais il est resté abondamment utilisé dans les Antilles. La raison : les enjeux économiques du secteur de la banane, un secteur clé de l’économie des deux îles, a incité les autorités à continuer à autoriser son utilisation. "Ce fut le fruit d'un aveuglement collectif", a déclaré jeudi Emmanuel Macron. "Nous avons continué à utiliser le chlordécone (....), parce que l'État, les élus locaux ont accepté cette situation, pour ne pas dire l'ont accompagnée, en considérant qu'arrêter le chlordécone, c'était menacer une partie des exploitations."
- Quelles solutions pour aider la population ?
Emmanuel Macron a annoncé jeudi l’ouverture d’une procédure pour faire reconnaître l’exposition au chlordécone comme maladie professionnelle. Le niveau de prise en charge et d’indemnités ne sera cependant déterminé que dans les mois à venir par les partenaires sociaux. Une nouvelle recherche sur le lien entre cancer de la prostate et pollution des sols doit également être lancée.
Fin juillet, le ministère de l'Agriculture avait décidé de revoir les limites autorisées pour la présence de chlordécone dans les aliments, à la suite d'un recours déposé par une association guadeloupéenne devant le tribunal administratif de Paris. Des chercheurs tentent également de mettre au point une solution naturelle pour éliminer le pesticide, mais ils manquent pour le moment de moyens financiers, raconte Ouest-France. Une lueur d’espoir pour toutes les victimes du chlordécone.