Près de 1,3 million de personnes en France souffrent de troubles bipolaires, avance mercredi l'association Argos, à l'occasion de la Journée nationale de lutte contre cette maladie. Anciennement appelée "psychose maniaco-dépressive", cette pathologie est reconnue par l'OMS comme une "maladie mentale", c’est-à-dire comme nécessitant un traitement, et potentiellement une hospitalisation. Elle se traduit par une alternance entre deux "phases", dites "ascendantes" et "descendantes", d'exaltation et de dépression. Et conduit, dans 25%, à une tentative de suicide.
>> Comme vit-on avec ces troubles ? Peut-on s'en sortir ? Europe 1 a recueilli le témoignage de Marie-Aude, 50 ans, souffrant de ces troubles depuis 25 ans.
"Le canapé et moi, on ne faisait qu'un". "Ma vie a été compliquée", reconnaît Marie-Aude aujourd'hui. Bipolaire depuis ses 25 ans, il lui a fallu attendre dix ans avant d'être diagnostiquée, après plusieurs hospitalisations. "Au départ, j'ai eu d'abord des épisodes 'down', dépressif, à partir de 25 ans. J'étais au fond du gouffre. Tout était très sombre. Le canapé et moi on ne faisait qu'un. Cela a été jusqu'à des tentatives de suicide", raconte-t-elle au micro d'Europe 1.
Marie-Aude peut encore décrire avec précision son ressentie pendant les deux "phases", qui peuvent chacune durer plusieurs semaines, voire des mois, avec des moments de "répits", variables eux aussi, entre les deux. Pendant la phase descendante, "on se dit qu'on ne sert à rien. On a une estime de soi très très basse. On se dit : 'une personne de plus ou de moins sur terre, ça ne change pas grand-chose'".
"On dort 2 heures par nuit et on a une pêche d'enfer". Et durant les phases "up", c'est une révolution mentale qui se joue, tout aussi dangereuse. "On se sent très très bien. On ne se rend pas compte que l'on est malade. On a plein d'idées, plein de projets, le cerveau en pleine ébullition. Tout va très vite. On dort deux heures par nuit mais on a une pêche d'enfer. Il y a un côté extrêmement créatif, avec des projets complètement fous qui nous paraissent réalisables. Il peut y avoir aussi un aspect addictif, avec l'alcool par exemple".
"Cela reste tabou". Marie-Aude fut institutrice pendant 15 ans, malgré sa maladie. Si elle parvenait à se contrôler devant ses élèves et à assurer des cours "normaux", elle a tout de même fini par arrêter, quelques temps après son diagnostic. "Devant mes élèves et les parents je réussissais à cacher mes troubles. Mais je multipliais les arrêts maladie et les hospitalisations. Ce n'était plus possible", explique-t-elle. "Je n'ai jamais très bien su si mon entourage professionnel s'en est rendu compte. Je pense qu'il n'était pas dupe. Mais cela reste tabou", détaille-t-elle.
"L'environnement est très important". Pour l'heure, les scientifiques ignorent encore précisément à quoi sont dus ces troubles. A Marie-Aude, ils expliquent bien que la cause n'est pas unique. "Aujourd'hui, on parle de facteurs 'biopsychosociaux'. Il y a une partie éventuellement génétique, une partie psychologique et une partie environnementale. Les chercheurs sont encore en train de travailler dessus. Mais moi aujourd'hui, je pense que l'environnement (géographique mais surtout social) est très très important", analyse-t-elle.
"J'ai appris à mieux me connaître". Aucun remède miracle n'existe contre la bipolarité. Mais les troubles peuvent se contenir, on peut apprendre à les maîtriser. Médicaments, thérapies cognitivo-comportementales ou interpersonnelles, mesures psycho-éducatives… Des traitements existent. Mais selon Marie-Aude, la médecine ne peut pas tout. "Moi cela fait six ans que je suis dans une phase de 'répit', car j'ai appris à mieux me connaître. S'accepter, se soigner, se battre, s'entourer : c'est très important d'avoir ces quatre choses en tête".
Et pour parvenir à remplir ces quatre objectifs, activités et environnement comptent autant que les médicaments. "Au-delà des médicaments et des consultations, des choses comme le yoga ou le sport peuvent aider", témoigne Marie-Aude. Et de conclure : "Si je vais mieux aujourd'hui, c'est parce que j'ai pris les moyens pour. Je fréquente aussi une association, qui s'appelle le Clubhouse France', qui me permet d'aller beaucoup mieux. J'ai un réseau social et amical. C'est primordial".