Pourquoi les dentistes refusent de baisser leurs tarifs

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Les principaux syndicats de dentistes libéraux refusent la proposition d’accord de l’Assurance maladie visant à améliorer l’accès aux soins. 

Un rejet et un claquage de porte. Les deux principaux syndicats de dentistes libéraux ont refusé l’accord proposé par l’Assurance maladie sur les tarifs des soins dentaires, visant à améliorer l’accès au soin des patients. Le conseil d'administration du premier syndicat de dentistes, la FSDL, a voté mercredi soir contre les propositions de la "Sécu", soutenues par le ministère de la Santé. Le deuxième syndicat (CNSD), quant à lui, avait claqué la porte des négociations la semaine dernière. Et il vient ce jeudi de rejeter officiellement l’accord proposé, lors d’un vote des représentants. Pourquoi les dentistes ferment-ils la porte aux négociations ? Décryptage.

Le constat : trop de patients renoncent à se soigner

Aujourd’hui, selon un récent rapport de la Cour des comptes, un assuré sur cinq renonce à des soins dentaires pour des raisons financières. D’après les Sages de la rue Cambon, cela s’explique, en grande partie, par le reste à charge trop élevé des patients lors du paiement d’un acte chez le dentiste. Les assurés s’acquittent en moyenne de 25% du prix de l’acte, contre 33% pour la "Sécu" et 39% pour les complémentaires santé. À titre de comparaison, en Allemagne, le reste à charge des patients n’est que de 10%. Selon la Cour des comptes, les Français sont deux fois plus nombreux à renoncer à se soigner les dents que chez la plupart de nos voisins européens.

Les Sages dénoncent ainsi "la faiblesse persistante" des pouvoirs publics et de l'Assurance maladie face aux dentistes. Dentistes qui auraient, eux, présenté des contreparties "nettement insuffisantes" par rapport aux "importantes revalorisations tarifaires" lors des précédentes négociations.

Ce que propose aujourd’hui l’Assurance maladie

En réaction, l’Assurance maladie a proposé la semaine dernière, après des mois de négociations, de plafonner les honoraires des dentistes liés aux soins dits "prothétiques" (pose de couronnes, de bridges…). Selon la Cour des comptes, ces actes représenteraient 62% du chiffre d’affaires des professionnels, mais seulement 12% de leur travail. C’est également sur ces actes que les dépassements d’honoraires seraient les plus fréquents.

En contrepartie, l’Assurance maladie propose de revaloriser les tarifs liés aux soins dits "conservateurs" (caries, détartrages…), à hauteur de 806 millions d’euros sur quatre ans. Cette revalorisation serait intégralement financée par la "Sécu" et les complémentaires, sans  reste à charge supplémentaire pour les patients. L’Assurance maladie a fait ses calculs : un dentiste gagnerait, en moyenne, 9.000 euros de plus sur  quatre ans grâce à cet accord. Seuls 24% des dentistes – ceux qui font le plus de dépassements d’honoraires – seraient perdants.

Quant aux patients, ils bénéficieraient d’un plafond aux alentours de 500 euros pour la pose d’une couronne par exemple, ce qui réduirait leur reste à charge quasiment à néant s’ils ont une mutuelle remboursant les frais dentaires. Aujourd’hui, le prix d’une couronne peut monter jusqu’à 1.200 euros.

Les dentistes se lancent dans une guerre des chiffres

Le problème, c’est que les organisations professionnelles ne sont pas du tout d’accord avec les calculs de l’Assurance maladie. Selon le FSDL, par exemple, à temps de travail égal, les deux tiers des dentistes vont devoir baisser leurs honoraires "de 20 à 30%" avec un tel accord. Selon la CNSD, seuls 34% des actes seraient revalorisés. Pour éviter une perte nette de leur chiffre d’affaires, il faudrait que l’Assurance maladie revalorise les tarifs des soins conservateurs à hauteur de 2,5 milliards d’euros, au lieu des 800 millions proposés aujourd’hui. "La marche à franchir est trop importante", a regretté auprès de l’AFP Catherine Mojaïsky, présidente du syndicat.  Les "montants sont trop éloignés de la réalité (...) et on ne "signera pas sous la contrainte", a renchéri Patrick Solera, le président du  FSDL.

Interrogé par Les Echos sur le fait de savoir si les dentistes allaient devoir travailler plus, le directeur général de l'Union nationale des caisses d'assurance-maladie (Uncam) Nicolas Revel n’a pas totalement démenti. "Ce n'est pas démontré, et ce ne serait de toute façon pas scandaleux", a-t-il simplement commenté. En cas d’absence d’accord, l’Assurance maladie a d’ores-et-déjà fait savoir qu’elle n’hésiterait pas à prononcer un règlement arbitral. Le FSDL et l’Unecd, le syndicat d’étudiants en chirurgie dentaire, ont déjà annoncé un mouvement de grève vendredi. La CNSD n’exclut pas de faire de même.

 

Combien gagne un dentiste ? 

Les chirurgiens-dentistes libéraux gagnent en moyenne 92.567 euros bruts par an, selon les derniers chiffres de la Caisse autonome de retraite des chirurgiens-dentistes et sages-femmes (CARCDSF). Mais ce chiffre contient plusieurs disparités selon l’âge et la condition sociale des patients : 16,5% des chirurgiens-dentistes gagnent moins de 38.040 euros et 10,3% gagnent plus de 190.200 euros.